Grave de chez grave !

Le harcèlement scolaire « c’est beaucoup plus grave que ce que l’on imaginait »

Huit parents sur dix craignent que leur enfant soit harcelé par ses pairs. Et malheureusement, les chiffres leur donnent raison : selon une étude inédite réalisée par l’Ifop pour l’association « Marion la main tendue », Dix neuf (19) % des jeunes ont déjà été victimes de harcèlement scolaire. Pour 16 %, cela a même duré plus d’un mois.

Nora Tirane Fraisse, la présidente de l’association, assure être « tombée de (s) a chaise » quand elle a reçu les résultats : « C’est beaucoup plus grave que ce qu’on imaginait », explique cette maman qui a fait de la lutte contre le harcèlement scolaire son combat après le suicide de sa fille il y a dix ans.

Jusqu’ici, on estimait qu’environ 6 à10 % des élèves étaient victimes de harcèlement scolaire au cours de leur scolarité. Ils seraient finalement deux fois plus nombreux. D’après l’étude, dévoilée mardi, deuxjours avant la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, les violences se concentrent au collège et au primaire.

Contrairement à une idée reçue, elles se déroulent davantage dans le cadre scolaire (cour de récréation, couloirs, cantine, etc.) que sur les réseaux sociaux. Elles n’épargnent d’ailleurs personne, même si les élèves timides, en situation de handicap, roux et en internat sont surreprésentés parmi les jeunes harcelés.

L’électrochoc des suicides

Bien souvent, les victimes gardent des séquelles tout au long de leur vie.

Certaines développent des phobies scolaires, à l’image d’Arthur, un collégien de 14 ans pour qui « ça devenait une routine de se faire insulter ». Le garçon, qui a dû changer d’établissement à deux reprises, raconte avoir « eu peur de retourner à l’école » à la rentrée. Parfois, les conséquences sont encore plus dramatiques : 58 % des harcelés ont déjà pensé à se faire du mal, selon l’enquête commandée par Marion la main tendue.

Dinah, Marie, Lucas, Lindsay, Nicolas… Ces derniers mois, le suicide de plusieurs enfants a suscité une vive émotion et a mis le sujet du harcèlement scolaire sur le devant de la scène politico-médiatique. Gabriel Attal – actuel, mais temporaire -, ministre de l’Éducation, affirme en avoir fait sa « priorité absolue », lui qui a récemment révélé avoir subi « un déferlement d’insultes et d’injures » à « la fin du collège ».

Après avoir étendu à la rentrée le programme pHARe, un dispositif de prévention du harcè­lement entre élèves, le gouvernement a ainsi présenté en septembre un plan interministériel.

Parmi les mesures qui ont été annoncées figurent la création de brigades anti-harcèlement, la multiplication « de cours d’empathie » ou encore la possibilité de changer d’établissement les harceleurs.

Pas suffisant selon la plupart des parents (92 %) et enseignants (86 %), qui sont une majorité à réclamer un renforcement des sanctions à l’égard des élèves coupables. La relaxe lundi des quatre mineurs poursuivis pour des « faits de harcèlement ayant entraîné le suicide du jeune Lucas est, de ce point de vue, significarif », estime Nora Tirane Fraisse.

Pour elle, cela fait passer le message qu’il « ne se passe rien, même quand un enfant meurt ». Au-delà du « vrai désir de justice » exprimé par les enfants harcelés, la responsable associative constate que les enseignants sont « désarmés » face à ce fléau, notamment en raison d’un manque de formation et de moyens humains.

81 % des professeurs du second degré interrogés par l’Ifop n’ont jamais reçu de formation dédiée. Et parmi ceux exerçant dans des établissements inscrits au programme pHARe, seulement 5 % font partie des équipes chargées de mettre en oeuvre le protocole de prise en charge.

Pas étonnant, dans ces circonstances, que 37 % des parents ne soient « pas du tout satisfaits » de la manière dont l’établissement a procédé quand leur enfanta été harcelé. C’est le cas d’Annabelle, la mère d’Arthur : « Plusieurs fois j’ai prévenu, plusieurs fois on ne m’a pas écouté ».

Nora Tirane Fraisse reconnaît la « bonne volonté » du gouvernement mais considère que « sans moyen (supplémentaires) on n’arrivera pas » à prévenir de nouveaux drames.

La présidente de Marion la main tendue réclame un Grenelle du harcèlement scolaire et des objectifs chiffrés. Surtout, aux enfants victimes, elle veut dire : « ce n’est pas à vous de régler ce problème, mais c’est à nous, adultes de vous protéger ».


Léa Guyot le Dauphiné Libéré. 08/11/2023


Gabriel Attal avait jugé ses propos « honteux ». À la veille de la journée nationale dédiée à la lutte contre le harcèlement scolaire, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé souhaiter mettre en place une « procédure disciplinaire » à l’encontre de Charline Avenel, l’ancienne rectrice de l’académie de Versailles, en poste au moment où les parents du jeune Nicolas, un lycéen de Poissy (Yvelines), qui a mis fin à ses jours, le 5 septembre dernier, appelaient à l’aide face au harcèlement scolaire subi par leur fils.

À leur détresse, le rectorat de Versailles, plus grosse académie de France, avait répondu par un courrier type les menaçant de poursuites judiciaires, qu’ils ont rendu public après le suicide de Nicolas. D’autres parents avaient, dans le sillage de ces révélations, fait part de courriers type reçus de cette même académie, qui témoignent de son absence d’empathie et de son mépris face à leurs sollicitations.

Autant d’éléments qui ont permis de mettre au jour des dysfonctionnements systémiques, poussant Gabriel Attal à réagir en se rendant sur place et à diligenter une mission d’inspection sur les failles de ce rectorat. Le ministre affirme que celle-ci a enquêté « sur les conditions dans lesquelles un courrier aux termes profondément choquants a pu être adressé à cette famille (au printemps 2023). Ce qui ressort des travaux de la mission, c’est que ce courrier, en ces termes, n’aurait jamais dû être adressé à cette famille, dans cette situation. »

Désormais à la tête d’un groupe privé d’enseignement, Charline Avenel, qui sous le feu des critiques, s’était dédouanée en septembre dernier de la responsabilité de cette lettre – dont elle a convenu qu’elle était « inadmissible »-, a réagi à l’annonce de cette « procédure disciplinaire » par la voix de son avocat Me Sébastien Schapira, dans un communiqué transmis à l’AFP, en faisant part de « sa stupéfaction ».

« Elle entend rappeler que si elle a toujours assumé ses responsabilités, ayant à ce titre demandé dès le premier jour à être entendue par les services de l’inspection, elle ne peut accepter cette mise en cause totalement injustifiée », a affirmé Me Sébastien Schapira, qui réclame la mise à disposition publique « dans les plus brefs délais » de ce rapport pour « éviter tout amalgame et dans un souci de transparence ».

Reste à savoir, au-delà de l’effet d’annonce évident voulu par le ministre à la veille d’une journée cruciale, censée incarner sa démarche volontariste sur le sujet, si cette mesure sera bien suivie d’effets à l’encontre d’une ancienne rectrice qui n’a plus de lien avec l’institution.


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