Conflit du Proche-Orient et la politique française

[…] Dix-huit mois après la réélection de M. Emmanuel Macron, deux données qui caractérisaient les scrutins présidentiel et législatifs de 2022 ont été confirmées :

  1. Le pouvoir reste très impopulaire,
  2. L’extrême droite poursuit son ascension.

Simultanément, une illusion largement partagée l’an dernier vient d’être durablement balayée. Loin d’être redevenue puissante et unie, la gauche reste minoritaire et sans perspective, ce qui la conduit généralement à se fragmenter un peu plus.

L’assaut meurtrier du Hamas contre Israël et les bombardements aveugles de l’armée israélienne […] ont fait resurgir cette division de façon dramatique, peut-être irréversible.

[…]

Mais le navire tanguait déjà. Depuis le succès relatif de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) aux élections législatives de juin 2022, les désaccords et les polémiques n’ont jamais cessé entre les quatre principaux membres de la coalition (1).

[…]

C’est une ritournelle à gauche : chacun se prétend favorable à l’union quand cela sert ses intérêts, et la récuse en invoquant des divergences au demeurant réelles lorsque ses partenaires éventuels y gagneraient davantage que soi-même.

Si le scrutin européen du printemps prochain n’était pas à la proportionnelle, socialistes, écologistes et communistes auraient assurément évité de présenter des listes séparées. […]

Deux analyses internationales incompatibles

En l’état actuel du rapport de forces national, l’équation de l’unité est simple et sombre : aucun candidat de gauche ne figurera au second tour de la prochaine course à l’Élysée s’ils sont plusieurs au premier, et les Français devront alors, pour la troisième fois depuis 2017, « choisir » entre un candidat de droite et Mme Marine Le Pen.

La même règle vaudra peu ou prou pour les élections législatives, puisque les candidats qui obtiennent moins de 12,5 % des inscrits (c’est-à-dire, avec une abstention massive, près de 25 % des votants) sont éliminés à l’issue du premier tour.

En somme, dès lors que l’extrême droite s’est imposée durablement comme l’une des principales forces politiques du pays, les formations de gauche ne peuvent plus débattre de leurs désaccords et laisser l’électeur les départager au premier tour, sous peine d’être éliminées du second.

Deux quinquennats de M. Macron, pourraient donc déboucher sur ce résultat : en 2027, l’injonction au « vote utile » risque de conduire certains électeurs de gauche, alarmés par les indications des sondages, à voter pour un candidat de droite dès le premier tour si, comme c’est le cas aujourd’hui, ces études d’opinion continuent de suggérer qu’un conservateur aurait plus de chances qu’un candidat de l’actuelle Nupes de « faire barrage » à Mme Le Pen, dont l’élection n’est plus exclue.

[…]

L’aberration démocratique d’un scénario où l’on se sent obligé d’élire tous les cinq ans un président dont on combattra chaque jour tous les choix n’efface pas une autre anomalie. Celle d’une alliance forcée entre des partenaires de gauche qui s’opposent aussi pour des raisons respectables, c’est-à-dire de fond.

[…]

Deux analyses incompatibles de cet état du monde s’opposent.

  • L’une, pour qui le clivage principal oppose des démocraties libérales à des régimes autoritaires, est principalement défendue par les socialistes, avec le soutien intermittent des écologistes.
  • L’autre, non alignée, a les Insoumis et les communistes pour principaux avocats.

Comment les concilier ? Quelle position un éventuel gouvernement commun de la gauche aurait-il prise au moment de l’attaque du Hamas ? Serait-il favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ? Suivrait-il les États-Unis si ceux-ci s’engageaient dans une confrontation avec la Chine à propos de Taïwan ?

[…]

À supposer que des divergences aussi abyssales puissent être aplanies, aucun mode de résolution des conflits n’est prévu. Tout au contraire, leur amplification monopolise l’attention sous forme de messages acrimonieux sur les réseaux sociaux, aussitôt relayés avec volupté par les médias.

[…]

Banalisation accélérée de l’extrême droite

Depuis sa réélection, le président de la République, politiquement et socialement minoritaire (le « bloc bourgeois »), dépourvu d’un corps de doctrine consistant (le macronisme), exerce un pouvoir quasiment sans partage grâce à une définition cynique des « extrêmes » qu’il combat.

Après avoir prétendu qu’il incarnait un pôle progressiste « qui va de la social-démocratie jusqu’au gaullisme social (6)  », puis repris le slogan du NPA « Nos vies valent plus que leurs profits » et le concept de « planification écologique », M. Macron a mis le cap très à droite. Faute de majorité parlementaire, son parti ne cesse de rechercher des accords avec LR, qui, de son côté, s’emploie à survivre en plagiant les mots de l’extrême droite et en piochant dans son programme.

Mais le pouvoir lui aussi se distingue de moins en moins du Rassemblement national (RN) sur les thèmes de l’insécurité, de l’immigration, du « terrorisme islamiste », de la mise en cause des libertés publiques et du lien qu’il postule entre tous ces sujets assurément plus lucratifs pour lui que la défense du pouvoir d’achat.

[…] La guerre de Gaza, le « soutien inconditionnel » apporté à Israël par la présidente de l’Assemblée nationale, par le RN et par une bonne partie de la classe politique et médiatique française, les maladresses de LFI, l’hallali contre M. Mélenchon auquel certains de ses partenaires se sont prêtés, ont permis de parfaire l’opération.

Avec une gauche désunie, une Nupes hors jeu, les cartes politiques sont-elles suffisamment rebattues pour que le président de la République, invoquant sa difficulté de gouverner sans majorité parlementaire, dissolve l’Assemblée nationale et présente son parti comme le seul barrage possible à une victoire législative de l’extrême droite ?


Serge Halimi. Le monde diplomatique. Source (extraits)


  1. Dans l’ordre des résultats obtenus au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 : La France insoumise (LFI), Europe Écologie – Les Verts (EELV) devenu Les Écologistes, le Parti communiste français (PCF) et le Parti socialiste (PS).
  2. Au même moment, un communiqué du groupe parlementaire LFI évoquait une « offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne ».
  3. Lire « Le cordon sanitaire », Le Monde diplomatique, avril 2019.
  4. Pascal Bruckner, « LFI et le Hamas, la solitude des salauds », Le Figaro, Paris, 13 octobre 2023.
  5. « Mélenchon, le problème de toute la gauche », Le Monde, 11 octobre 2023.
  6. Entretien au Figaro, 29-30 avril 2017.

2 réflexions sur “Conflit du Proche-Orient et la politique française

  1. christinenovalarue 07/11/2023 / 7h32

    Comprendre la politique devient de plus en plus difficile pour ma pauvre tête, allez courage !

    • Libres jugements 07/11/2023 / 14h15

      Je veux bien entendre Christine, que la difficulté à suivre ses méandres des arcanes de la politique puissent désintéresser bon nombre de personnes.
      Les différentes communications gouvernementale, les lectures qui en sont faites par les différents médias, les pseudos experts-journaleux-politologues ; tout concourt pour embrouiller la population.
      Toutefois, il y a de temps en temps quelques articles éclairant, celui-ci fait partie de ceux-ci.
      Amitiés
      Michel

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