Musées sur ordonnance

Le récents rapports internationaux de l’OCDE et de l’OMS confirment que la fréquentation des lieux culturels est source de bien-être (le « care » en anglais) mais également de mieux-être, voire de guérison (le « cure ») », explique l’historienne de l’art Nathalie Bondil. Elle est à l’origine du concept de « muséothérapie », développé alors qu’elle dirigeait le musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM).

Dès 2018, des prescriptions médicales inédites — « Profitez d’une visite gratuite au MBAM pour vous faire du bien » — se sont déployées par l’entremise de l’association Médecins francophones du Canada. Depuis, le principe s’est exporté au pays de Monet, où les initiatives exploitant des oeuvres d’art pour améliorer l’état de malades deviennent de plus en plus courantes…

Soigner la dépression

Le Pr Philippe Courtet, chef des urgences psychiatriques du CHU de Montpellier, par ailleurs collectionneur d’art, a créé au printemps 2022 un projet pilote baptisé « L’Art sur ordonnance » à l’espace Montpellier contemporain (MO.CO). Le dispositif est destiné aux personnes ayant vécu une crise dépressive, parfois suicidaire, secourues par les services d’urgences montpelliérains, mais non hospitalisées.

Récemment, il a été élargi aux membres de l’association France dépression. « Il ne s’agit pas ici de prévention, mais bien de soins complémentaires », insiste le psychiatre. Au musée, les personnes adressées par ces prescriptions bénéficient d’un programme complet associant visite de l’exposition en cours et ateliers pratiques (dessins, etc.) conduits par un artiste invité. « Sur le plan épidémiologique, il est démontré que fréquenter les lieux de culture diminue l’incidence de la dépression », poursuit le Pr Courtet.

Les études récentes utilisant la neuro-imagerie montrent que contempler des oeuvres d’art stimule des régions cérébrales reproduisant l’intention de l’artiste et active le système de récompense associé au plaisir, ainsi que le réseau du « mode par défaut », celui de « l’introspection ». Sans oublier que la muséothérapie, pratiquée en groupe, au sein d’un lieu ouvert au public, « permet de lutter contre la solitude, d’autant plus marquée chez les patients déprimés ».

Ce programme novateur a reçu le soutien de l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie. « Des premières évaluations, réalisées auprès de quarante patients, mettent en évidence une amélioration de leurs symptômes dépressifs. L’art agirait comme un tremplin existentiel. En amenant les personnes à développer une sensibilité artistique et des compétences créatives, on les aiderait à retrouver un sens, un but, une identité », analyse le spécialiste.

Diminuer les ruminations

Au Palais des beaux-arts de Lille, qui emploie une art-thérapeute à temps plein, cent quarante séances annuelles sont consacrées aux patients adressés par les différents services hospitaliers lillois, « à commencer par celui de l’Assistance médicale à la procréation, (AMP), et le centre mémoire pour les malades d’Alzheimer », précise Juliette Barthélémy, chargée du développement des actions de médiation.

Les sessions, d’une durée de deux heures en moyenne, démarrent systématiquement par une visite dans les collections du musée. Le parcours n’est évidemment jamais construit au hasard…

L’art-thérapeute Pascaline Bonnave sélectionne avec soin les oeuvres devant lesquelles le groupe, composé d’une dizaine de visiteurs tout au plus, convergera. De là, elle questionnera les participants : « Qu’observez-vous sur cette toile ? » « Qu’est-ce qu’on en comprend ? » « l’appréciez-vous ? » « Cela résonne-t-il en vous ? »

Puis viendra l’expression artistique en deuxième partie de séance, au sein de l’atrium du musée. « Pour les femmes qui suivent un parcours AMP, la découverte des oeuvres d’art et la pratique artistique permettent de créer une bulle de bien-être dans laquelle elles quittent l’auto-centrage, diminuent les ruminations et, enfin, apprennent à lâcher prise vis-à-vis du désir de maternité », observe Juliette Barthélémy.

Avec les patients atteints d’Alzheimer, l’art-thérapeute s’attache à préserver l’autonomie et à stimuler les capacités cognitives en suivant un parcours précis, construit avec les orthophonistes du CHU. « C’est ludique et, en même temps, cela fait travailler l’orientation dans l’espace… sans oublier la communication, l’expression et le partage des émotions », souligne Pascaline Bonnave.

Des oeuvres d’art au chevet des malades

Dans le service de médecine interne de l’hôpital Lyon Sud, l’approche se révèle différente, car elle s’adresse aux personnes ne pouvant pas se déplacer. C’est le musée qui vient à l’hôpital. Et pour cause, l’établissement s’est équipé d’une « artothèque » regroupant une quarantaine de peintures et de photographies que les patients peuvent emprunter le temps de leur hospitalisation.

L’oeuvre est ainsi installée à leur chevet, directement dans leur chambre d’hôpital, face à leur lit, juste à côté du poste de télévision. L’idée vient de Laure Mayoud, psychologue clinicienne et fondatrice de l’association L’Invitation à la beauté, qui promeut et documente les vertus thérapeutiques de la beauté. « Artistes à l’âme tourmentée et autres amateurs de Francis Bacon s’abstenir, prévient-elle. Nous sélectionnons des oeuvres qui seront source de quiétude et de sérénité pour ceux qui les contemplent ».

Objectifs affichés : sortir les personnes alitées de leur solitude, leur faire oublier leurs souffrances autant que possible… « Face à une oeuvre d’art que l’on apprécie, notre cerveau va sécréter de multiples neurotransmetteurs bénéfiques : de la dopamine, impliquée dans le mouvement et l’élan vital, de la sérotonine, souvent appelée « hormone du bonheur », et de la morphine endogène, qui calme les douleurs et diminue l’anxiété », détaille le neurologue Pierre Lemarquis (1), président de l’association L’Invitation à la beauté. Ces soins contemplatifs seraient à même de donner l’envie de guérir.


Charline Delafontaine. Supplément du Dauphiné Libéré. 06–12/11/2023


  1. Auteur de l’Art qui guérit, Hazan.

6 réflexions sur “Musées sur ordonnance

    • Libres jugements 06/11/2023 / 12h09

      Bonjour Christine, toi qui « baignes » dans la peinture, ne vois-tu pas dans cet « art thérapie » une manière comme une autre de faire découvrir aux autres des œuvres.
      Pour ma part, je ne peux que saluer l’effort fait par certains musées pour démocratiser–faciliter la connaissance de l’art dans toutes ces versions.
      Amitiés
      Michel

      • christinenovalarue 06/11/2023 / 12h53

        Je suis tout à fait d’accord avec toi, docteur Michel, 🤕la culture est un excellent médicament

        • Libres jugements 06/11/2023 / 14h28

          Non Christine, en aucun cas, je ne mérite le titre de « Docteur Michel », mais j’assume avec fierté, celui bienveillant de « passeurs d’informations »
          Amitiés
          Michel

  1. Bernard 06/11/2023 / 10h05

    L’art thérapie, l’équitherapie, mais aussi la nature thérapie, tout ce qui réinsère le dépressif dans la société lui fait du bien, dire que cela soigne c’est exagéré, mais ça éloigné les tendances au suicide. Beaucoup de dépressif ont tout simplement besoin de compagnie, humaine mais aussi animale.

    • Libres jugements 06/11/2023 / 11h20

      Bonjour Bernard et merci pour ton commentaire.
      Depuis des années, certains olibrius plus ou moins éclairés, considèrent les tags urbains ou ruraux, comme une expression nouvelle de l’art. Le prétexte : une fonction utile pour embellir la laideur notamment des quartiers pauvres des cités urbaines ou des friches industrielles.
      Certaines personnes plus ou moins « versées » dans le domaine et se targuant de psychologie, définissent comme une  » expression soupape  » et qu’il vaut mieux laisser faire plutôt que se retrouver avec une émeute de quartier… pour ma part, c’est là une explication bien tordue. La laideur accumulée venant accentuer la deprime, l’envie de detruire.
      Par contre, toujours à mon avis, fréquentant assez régulièrement les musées, expositions diverses, sans pretendre que cela me soignerait d’une dépression — que je n’ai pas, a priori — m’apportent des éléments de connaissance et trouver dans ces lieux un apaisement certain, aux affres de la vie quotidienne.
      Alors pourquoi pas l’art thérapie…
      Amitiés
      Michel

N'hésitez pas à commenter