Un point de vue… qui comme tous les points de vue, appartient uniquement à son auteure
Élisabeth Péricard Devauchelle est la présidente de la fédération Auvergne-Rhône-Alpes du planning familial.
L’IVG concerne toutes les femmes en France et à l’international. N’oublions jamais les chiffres pour situer l’importance du sujet : une femme sur trois est concernée par une interruption volontaire de grossesse dans sa vie.
Et ce chiffre ne baisse pas depuis plusieurs années. Il faut savoir que 72 % de ces interruptions volontaires sont liées à des échecs de contraception. Après, il y a la vie : notre conjoint nous quitte, on perd son travail, on se retrouve plus isolée… Tout cela peut faire changer l’avis d’une femme sur une grossesse. Au-delà de ça, notre corps nous appartient et on peut, pour différentes raisons, avoir la liberté de renoncer à porter un enfant, car c’est une responsabilité, un engagement.
L’annonce d’Emmanuel Macron répond à quelque chose de demandé depuis longtemps déjà par les associations féministes et le planning familial : que l’IVG ne soit pas seulement un texte de loi conditionnel.
On a régulièrement des attaques pour réduire ce droit par des mouvements d’extrême droite ou religieux. On le voit aussi dans de nombreux pays, récemment en Europe et aux USA.
Inscrire l’IVG dans la Constitution est en soi un bon principe.
Mais quand le Président dit qu’il s’agit de donner la liberté d’accès, c’est un peu gonflé car cette liberté existe déjà puisque c’est une loi. Mais pour qu’une loi soit appliquée, il faut que les moyens de l’exercer lui en soient donnés. Or on sait que l’accès aux soins en France est plus limité qu’il y a quelques années. Je parle ici du nombre de services hospitaliers, où le chef de service gynécologie met son centre d’IVG un peu à part car il a peur de ne plus faire que ça.
La loi n’a jamais été correctement appliquée, il faudrait, comme en psychiatrie une sectorisation, faire en sorte que pour tant d’habitants, il y ait tant de lieux d’accueil et de soins adaptés.
« Ce terme de liberté ne nous convient pas »
Mais aujourd’hui, on sait bien que dans certaines vallées de notre région Auvergne-Rhône-Alpes, une jeune lycéenne de terminale va avoir des difficultés à consulter un gynéco, ou un planning familial à proximité sauf à s’y rendre seule en deux heures de bus. Car tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents compréhensifs, une grande soeur ou frère ou amie pour l’accompagner. Cela peut également concerner une femme qui n’a pas de moyens de locomotion ou qui doit faire garder ses enfants. L’inégalité territoriale est très forte en matière d’accès aux soins, et le fait de ne pas avoir supprimé la clause de conscience des médecins limite aussi fortement l’accès à l’IVG.
La liberté est théoriquement là, mais ce terme de liberté ne nous convient pas. Il est beaucoup trop global et ne sécurise pas l’accès à l’IVG. En effet, le texte proposé par le sénat stipule qu’il existe une loi mais n’en garantit pas les conditions (remboursement, entretiens préalables…).
Nous, ce que nous voulons, c’est un droit effectif avec une égalité de traitement des personnes. Afin que toute femme et personne ayant un utérus vivant sur le territoire puisse y accéder.
Il n’est pas non plus question dans le discours d’Emmanuel Macron du remboursement par exemple, or certaines femmes ne pourront pas faire autrement que d’aller dans une clinique privée. Pour nous, cet accès doit aussi comporter un choix : oui à l’IVG médicamenteuse en début de grossesse, mais une femme a aussi le droit de préférer une anesthésie et de se sentir entourée. La vraie question est donc un accès pour toutes, financièrement, territorialement et sociologiquement, avec le souhait d’avoir toujours un accueil bienveillant.
Cette loi sur l’IVG est très ancienne aujourd’hui mais elle est perpétuellement remise en question, on le voit aussi à l’étranger.
Inscrire l’IVG dans la Constitution est donc un acte fort et symbolique, mais au-delà de cela, il faut donner les moyens d’une réelle application de la loi.
Élisabeth Péricard Devauchelle. Le Dauphiné Libéré. 05/11/2023