En mars prochain, Walt Disney sortira une nouvelle version de Blanche-Neige, prévoyant cette fois d’en faire une icône féministe, non pas entourée des sept nains mais de créatures magiques, par respect pour les gens de petite taille.
En 2015, le spécialiste de l’énergie et de l’écoconstruction Manuel Moreau n’hésitait pas à dénoncer « le mensonge des trois petits cochons à l’origine du culte du béton » (1), comptant bien redonner ses lettres de noblesse à la construction de paille et de bois. Le Grand Méchant Loup n’a qu’à mieux se tenir.
D’ailleurs, il n’échappe pas non plus à la déconstruction des stéréotypes. Dans les nouveaux contes, il est plus souvent gentil, timide, grotesque… voire végétarien !
Juliette, 29 ans, elle-même biberonnée aux récits de princesses et de princes charmants, s’insurge : « Ces histoires véhiculent de fausses croyances, dit-elle. Il faut en finir avec la Belle au bois dormant, cette cruche passive qui se fait voler un baiser durant son sommeil et ne doit son salut qu’au prince. A ma fille, je préfère offrir des mangas qui n’ont pas peur de mettre en scène des femmes puissantes. » Andersen, Perrault, Grimm, nuisibles ou trop datés ?
Un langage avant tout symbolique
En 1976, le pédagogue et psychanalyste américain Bruno Bettelheim (2) mettait en garde contre le danger de lire ces contes au premier degré. Tous jouent d’une imprécision volontaire dans l’incipit, expliquait-il (« Dans un certain pays », « Il y a de cela mille ans ou plus », « Du temps où les bêtes parlaient »…). « C’est que ces histoires n’ont pas été inventées pour décrire le monde concret, mais pour s’adresser, comme les rêves, à l’inconscient », abonde Geneviève Djénati(3), psychologue.
« Leur imagerie aborde des ressentis universels (peur de grandir, angoisse de séparation, complexe oedipien, rivalité fraternelle, ambivalence des sentiments…) pour aider l’enfant à dépasser ses conflits intérieurs et, grâce au dénouement positif clôturant une série de dangers et d’obstacles, à être rassuré sur sa valeur, poursuit-elle. Tel ou tel héros peut incarner une facette de sa personnalité ou l’une de ses angoisses à un stade de son développement. Il y a des garçons qui s’identifient parfaitement à la Belle au bois dormant ».
« Aussi, on se tromperait lourdement en ne voyant dans le loup qu’un prédateur sexuel : il est juste d’y voir également une figure identificatoire du « ça » freudien, c’est-à-dire notre part bestiale, non apprivoisée, permettant au jeune lecteur, fille ou garçon, d’extérioriser sa vitalité réprimée et de canaliser ses pulsions agressives. Lendormissement d’une princesse « réveillée » par le baiser du prince ?
Plutôt à mettre sur le compte du temps de la maturation, du repos des pulsions sexuelles, avant une possible renaissance et l’accès à une sexualité adulte. A noter que les prétendants hâtifs de la Belle au bois dormant sombrent dans les épines… Quant aux trois petits cochons, agents infiltrés à la solde du BTP, ils raconteraient la victoire de la réflexion et de la ténacité sur l’impulsion et la paresse.
Et si la bête était une princesse?
Il n’empêche, Charles Perrault, en courtisan de Louis XIV soucieux d’éduquer la progéniture des princes, n’a pas été avare sur les stéréotypes et les leçons de morale : se marier, avoir des enfants, rester au foyer (Cendrillon), devoir obéissance et fidélité à son mari (Barbe-Bleue), mériter sa réussite malgré les obstacles (le Petit Poucet)…
Toutes ces histoires proviennent d’une longue tradition orale et ont même évolué dans leurs versions successives en fonction des époques. Alors pourquoi ne pas continuer et offrir aux enfants d’aujourd’hui une lecture plus adaptée à la société dans laquelle ils vivent ? C’est le parti pris de l’auteure Anne-Fleur Multon (4), pour qui il n’est toutefois pas question d’affadir les contes pour enfants.
« Mon projet est au contraire de les sauver en conservant leurs grands marqueurs (style d’écriture, dimension du merveilleux côtoyant le côté sombre de l’humanité, dénouement heureux), tout en supprimant leur dimension réactionnaire, l’idéologie patriarcale, bourgeoise et capitaliste », défend-elle.
Résultats : des contes revus et corrigés, où les gentils ne sont pas des naïfs dénués de personnalité, comme la Cendrillon de Perrault, bien plus nunuche que celle des frères Grimm, et où les méchants changent de camp. Les pères absents ou toxiques remplacent alors les marâtres ou les soeurs rivales. Mais le plus révolutionnaire est sans doute la place accordée aux héros queers. « Rappelons qu’Hans Christian Andersen était gay, enfermé dans les préjugés d’une société homophobe, et que la Petite Sirène, entravée par sa queue de poisson et vivant dans les profondeurs, est l’histoire de son amour malheureux », souligne Anne-Fleur Multon. « Proposer des ouvertures à tous les enfants afin de pouvoir combler des vides imaginatifs me semble fondamental ».
Dans sa version de Cendrillon, Sandre, un petit garçon transgenre, parvient à s’affranchir du regard de son père pour faire sa transition et à aller au bal grâce à l’aide de ses soeurs. La Belle, elle, fuit la maison pour tenter de tuer la Bête et échapper au mariage forcé. Le conte décrit l’éclosion de leur amour, fondé sur des passions partagées, jusqu’à la métamorphose de la Bête… en princesse.
Dans les écoles et les mairies où Anne-Fleur Multon organise des lectures, le jeune public en redemande.
Ce qui n’étonne guère la psychanalyste Laurie Laufer(5) : « La parole des enfants est bien plus libre que celle des adultes, qui ont du mal à conserver leur capacité d’imagination et de spontanéité », dit-elle, pointant par ailleurs les postures opportunistes des grandes firmes qui, « lorsqu’elles ont l’air de dénoncer les maux du patriarcat ou de célébrer la diversité, s’inscrivent surtout dans une culture dominante néolibérale. Loin de porter un regard critique sur les inégalités, elles cherchent avant tout à faire consensus pour accroître l’audience de leurs films », estime-t-elle.
Attention à nos discours d’adulte
Mais quoi que l’on en pense, mieux vaut se méfier de nos projections d’adulte et même des interprétations de la psychanalyse. Bruno Bettelheim, lui, ne jure que par les versions originales pour en apprécier les qualités poétiques et enrichir l’esprit de l’enfant, mais il se méfie de l’exégèse des parents qui chercheraient à éclairer toutes les zones obscures en bloquant le travail de l’inconscient. « Certes, on peut demander à l’enfant ce qu’il a compris, s’il aime l’histoire ou s’il la trouve très bête. Mais c’est comme une poésie, un morceau de musique ou un tableau, ça s’écoute, ça se ressent, ça ne se décortique pas », estime Laurie Laufer.
Un avis partagé par Geneviève Djénati : « Seul l’enfant peut montrer, par l’intensité de ses réactions émotives, qu’il est touché. D’où l’intérêt de lui lire des contes, des productions du monde entier, contemporaines ou non, y compris des versions différentes de la même histoire, en lui laissant la possibilité de lui donner le sens qu’il veut ou dont il a besoin pour grandir, dit-elle. Le danger serait de le conditionner en lui proposant toujours le même discours. C’est un peu ce qui est arrivé à cette petite fille qui ne voulait s’habiller qu’en rose et en strass pour aller à l’école : Disney avait formaté son imaginaire ».
Chez Laura, 25 ans, c’était l’inverse. « j’étais interdite de Disney et de déguisements de princesse, se souvient-elle. Pour mes 5 ans, j’ai reçu une panoplie de cosmonaute. Mais, chez elle, ma grand-mère me lisait des contes de fées en cachette. C’était délicieusement transgressif… »
Pascal, 63 ans, vient, lui, de faire une découverte : « Mes parents ne nous ont jamais rien lu et quand, récemment, ma compagne m’a raconté la vraie histoire de la Petite Sirène, je vous assure, je me suis dit qu’il nous avait manqué quelque chose ! »
Valérie Josselin. Supplément du Dauphiné Libéré. 06–12/11/2023
- Conférence gesticulée Mon histoire populaire de l’énergie, sur YouTube.
- Auteur de Psychanalyse des contes de fées, Pocket.
- Auteure de Psychanalyse des dessins animés, Pocket.
- Auteure d’un conte du recueil la Revanche des princesses (Poulpe Fictions) et d’II était une autre fois (On ne compte pas pour du beurre).
- Auteure de Vers une psychanalyse émancipée, La Découverte.
Bonjour Michel, je suis absolument contre , on ne peut pas tout « remettre » au goût du jour, les conte de fées sont ce qu’ils sont, tant pis si cela déplaît à certains , c’est comme les romans qu’il faudrait « réécrire » , c’est du grand n’importe quoi! Tel est mon avis ce matin, bon Lundi amicalement MTH
Bonjour Marie, merci pour ton commentaire que je partage…
Juste sur le plan historique, l’écriture des contes et récits entre fin XIXe début du XXe, ne sont le plus souvent que des réécritures de contes ces récits bien plus anciens. Héloïse et Abélard… etc.
Avec toute mon amitié
Michel