D’étranges liens

En 2019, le service de renseignement intérieur a recensé « les relais d’influence » utilisés par la Russie dans le cadre des élections européennes.

Les quatre seuls politiques français cités sont membres du Rassemblement national, ou l’ont été. Parmi eux, une conseillère franco-russe du RN au Parlement européen.

Le jeudi 2 février 2023, alors qu’il était entendu par la commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences étrangères, Nicolas Lerner insistait : « Nous ne travaillons donc pas, je le répète, sur les partis politiques. » Mais sur ces quatre dernières années, précisait le patron de la DGSI (le service de renseignement intérieur), « il [leur] est arrivé de soupçonner que des individualités ou des élus d’un parti pouvaient être, à tout le moins, approchés par un service étranger ».

Alors que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) doit dévoiler, jeudi 2 novembre, son rapport annuel qui portera sur la lutte contre les ingérences étrangères, Mediapart révèle le contenu d’une note de la DGSI pointant du doigt quatre membres, actuels ou passés, du Rassemblement national (RN – ex-Front national).

Cette note, que Mediapart a pu consulter, date de mars 2019. Elle a pour thème les risques d’ingérence russe dans les élections européennes qui doivent se dérouler deux mois plus tard.

 Selon la DGSI, « la Russie mobilise ses relais d’influence en France, dans l’objectif de peser [sur les résultats du vote] ». Le renseignement intérieur français craint des opérations de « soft power » mais pas seulement : elles pourraient être « combinées à des actions clandestines mobilisant d’autres vecteurs, notamment les associations et les agents politiques ».

L’auteur de la note ne développe pas plus les possibles actions clandestines. En revanche, il détaille la stratégie d’influence qui « vise à diffuser un discours anti-européen, anti-Otan, qui dénonce la “décadence” des sociétés occidentales mondialisées, et qui fait de la Russie la seule garante des “valeurs” conservatrices ».

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La DGSI dresse notamment le constat qu’à l’approche des élections européennes, les événements publics pro-russes se multiplient. […]

Ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Thierry Mariani, rallié à Marine Le Pen en 2019 après quarante-deux années au sein du parti de droite, Thierry Mariani est un porte-voix assumé des intérêts russes. Lors de son audition en début d’année devant la commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences étrangères, l’eurodéputé avait expliqué vouloir rétablir la réalité face aux « fantasmes » et aux « légendes qui circulent » sur Dialogue franco-russe, l’association créée en 2004 par Jacques Chirac et Vladimir Poutine pour « favoriser les échanges économiques et politiques avec la Russie ».

Mais l’élu du RN est bien plus que le coprésident de cette structure : il est surtout connu pour ses voyages à répétition à Moscou auprès de Vladimir Poutine, mais aussi dans le Donbass pro-russe afin de « superviser », en 2018 des élections jugées illégales par la communauté internationale.

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  • L’attachée de presse des eurodéputés RN « au contact » d’un espion russe

Trois autres élus ou cadres passés par le RN sont cités dans la note confidentielle de la DGSI, dans la seconde partie du document consacrée aux « relais d’influence au sein du Parlement européen de Strasbourg ».

Le renseignement intérieur français, […], s’attarde sur le profil de l’ex-eurodéputé RN et ancien conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, qui, selon la DGSI, « retient particulièrement l’attention ».

Avant de claquer la porte du parti en 2015, le géopolitologue a mis ses réseaux russes au service des Le Pen et facilité l’un des deux prêts russes décrochés en 2014 […] en lui présentant l’oligarque Konstantin Malofeev.

Au-delà de son « activisme pro-russe », le service de renseignement mentionne un fait déjà médiatisé mais qui continue de l’interroger : le recrutement, fin 2018, en tant que stagiaire, d’Elizaveta Peskova, qui n’est autre que la fille du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov. Selon nos informations, la jeune femme avait également adressé un CV à Thierry Mariani au Dialogue franco-russe.

Ce recrutement par Aymeric Chauprade questionne d’autant plus la DGSI que l’eurodéputé avait auparavant embauché la Russe Tamara Volokhova comme assistante parlementaire entre 2014 et 2016, dans un contexte de fort lobbying de Moscou en Europe après l’annexion de la Crimée.

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Le service de renseignement français écrit en tout cas noir sur blanc dans une note qu’une cadre du RN fréquentait un espion russe. L’information est d’autant plus importante que Tamara Volokhova a, depuis, grimpé les échelons au sein du groupe parlementaire du RN à Strasbourg, Identité et démocratie (ID).

À 33 ans, elle est à la fois attachée de presse des eurodéputés RN et conseillère technique du groupe au sein de la commission « affaires étrangères ». Elle fut aussi candidate du RN dans le Bas-Rhin aux élections législatives en 2022 et aux départementales en 2021.

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En mars 2021, l’eurodéputé (LR) Arnaud Danjean avait, avec le président de cette commission David Mc Allister et l’élu polonais Radek Sikorski, écrit au secrétaire général du Parlement pour s’inquiéter qu’il n’existe pas de procédure de vérification pour les candidatures de stagiaires et collaborateurs de pays tiers, comme l’avait rapporté « Le Monde ».

Parallèlement, Nathalie Loiseau (Renaissance) avait adressé un courrier à la présidente du Parlement réclamant une sécurité renforcée dans les travaux de la sous-commission « sécurité et défense », qu’elle préside.

« Il y a, en particulier depuis la guerre en Ukraine, une vraie attention qui est portée à la confidentialité du Parlement européen sur les sujets sensibles et un regard plus étroit sur la nationalité de collaborateurs qui viendraient de pays réputés à haut risque (Russie, Chine, Iran, Qatar),explique à Mediapart Nathalie Loiseau, pour qui « il n’est pas invraisemblable que Mme Volokhova ait suscité des questions de membres de la commission des affaires étrangères ».

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Enfin, la note de la DGSI mentionne, de manière plus succincte, un quatrième nom français : celui de Nicolas Bay, alors « élu du Rassemblement national »,qui coprésidait, en 2019, le groupe du RN au Parlement européen, avant de rejoindre Éric Zemmour en 2022.

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Matthieu Suc et Marine Turchi. Mediapart. Source (extraits)


2 réflexions sur “D’étranges liens

  1. Bernard 02/11/2023 / 18h16

    Pourquoi ne parle t on pas de ceux achetés par les américains ? Les américains sont passés spécialistes de l’achat d’élus anciens présidents ministres chanceliers qui ont obtenu des places en or dans des multinationales américaines (Brittan chez Unilever Baroso chez Goldman Sachs…)

    • Libres jugements 03/11/2023 / 15h03

      Juste une petite précision Bernard, l’article ne parle que des élus Français approché dans le cadre de l’union européenne.
      Bien évidemment, ce genre de démarche consistant à influer sur les décisions à prendre d’élus en places dans des lieux, tel que l’union européenne à Bruxelles ou l’ONU les reunions de Davos ou encore sur l’ecologie, etc. n’a pas l’exclusivité de détournement d’influence par divers pays…

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