Entourloupes lobbyistes…

… transformant des élus français en relais du Qatar

Les personnalités politiques françaises auraient-elles sciemment relayé la propagande du Qatar ? La question est devenue brûlante depuis que deux lobbyistes de l’émirat — Nabil Ennasri et Jean-Pierre Duthion — ont été, au début du mois, mis en examen (et écroué, pour le premier) à la suite d’une enquête du Parquet national financier sur des cas d’ingérence étrangère. Depuis, le rappel du soutien (politique et financier) du Qatar au Hamas a encore ajouté à l’ambiance…

« Le Canard » s’est procuré la copie de SMS envoyés et reçus, avec documents joints, par les deux lobbyistes. Il ressort de ces échanges que les deux hommes ont approché, en moins de deux ans, une bonne centaine de personnalités politiques et ce au sein de tous les partis, pour tenter de les associer aux opérations de com’ qataries.

Quand les compères n’ont pas le bras assez long pour toucher des élus, ils passent par des rabatteurs, tel l’ancien député PS et maire du XIVe arrondissement parisien aujourd’hui avocat Pascal Cherki. Exemple de question de Duthion (17/11/21) : « Frérot, tu as un député qui pourrait tweeter ça dans la journée ? Budget 350 euros. » Cherki finit par lui balancer quantité de noms de politiques.

Tweet lucratif

Joint par le Palmipède, l’avocat admet avoir toujours su que « Jean-Pierre [était] un lobbyiste du Qatar… Puis, au fil du temps, c’est devenu un ami. Il m’a bien demandé de convaincre des parlementaires, mais jamais il n’a été question d’argent. »

Quelle contrepartie, alors ? « Duthion était un apporteur d’affaires et me présentait des clients potentiels. » Cherki réussira ainsi à convaincre Sophie Taillé-Polian, députée écologiste du Val-de-Marne, Esther Benbassa, alors sénatrice, et Clémentine Autain, députée LFI, de balancer des tweets (ce même 17 novembre 2021) pour protester contre la nomination à la tête d’Interpol d’Ahmed al-Raisi, candidat émirati et bête noire du Qatar — un général accusé par de nombreuses ONG d’avoir favorisé, au ministère de l’Intérieur d’Abu Dhabi, la torture d’opposants politiques… Les trois élues assurent qu’elles n’ont pas touché un sou et ne connaissaient pas les activités de lobbying de leur interlocuteur.

Grâce à Cherki et à quelques autres, Duthion a pu aussi entrer en contact avec le député Nupes Hubert Julien-Laferrière. En trois mois et demi, ce zélé prosateur a écrit une demi-douzaine de tweets influencés par les Qataris et posé cinq questions au gouvernement. Dans leurs messages, Ennasri et Duthion affirment qu’ils avaient « mensualisé » le député.

Vantardise ? Celui-ci n’a pas répondu à nos questions.

En 2021, toujours pour dégommer le candidat émirati à Interpol, nos deux lobbyistes ont recours aux services du médiatique avocat parisien William Bourdon. Lequel trouve des victimes du général afin de lancer une plainte contre lui et organise une conférence de presse avec Laferrière.

A « Libération » (6/10), Bourdon a reconnu avoir reçu en liquide 20 000 euros de Duthion sur deux ans, précisant au « Canard » : « Pour ce travail, j’ai reçu des honoraires normaux, modérés. Et j’ignorais complètement le pedigree comme les agendas de mes interlocuteurs. »

Par ailleurs, le 1ᵉʳ avril 2022, l’avocat a présenté un devis de 175 000 euros à ses clients. « Je n’ai rien touché mais confirme ce contrat et ce montant pour l’ensemble du dossier », indique-t-il, soulignant la longueur de la procédure et des honoraires de professeur de droit (consultations).

Avec le Qatar, le droit est essentiel et le tordu… omniprésent.


Jérôme Canard. Le Canard enchaîné. 25/10/2023


Une réflexion sur “Entourloupes lobbyistes…

  1. Bernard 30/10/2023 / 8h18

    La corruption n’est pas punie à la hauteur du préjudice porté à la société, l’avocat devrait être interdit d’exercer à vie.

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