Catastrophique Santé Militaire

En cas de conflit majeur, les militaires seraient incapables de soigner tous leurs blessés, faute de moyens.

Branle-bas de combat ! Emmanuel Macron l’a promis en janvier dernier, sur un ton martial : en 2030, la France sera parée pour la « guerre de haute intensité » !

La loi de programmation militaire, qui prévoit 400 milliards d’euros de dépenses sur sept ans, doit nous rendre aptes à résister aux Russes, moyennant une quincaillerie flambant neuve. Sauf que, pour faire la guerre — surtout « de haute intensité » —, posséder des chars, des navires et des avions ne suffisent pas : il faut aussi des médecins.

Or le Service de santé des armées (SSA) est sub claquant, ce dont vient tout juste de prendre conscience le ministre.

Le 13 octobre, Sébastien Lecornu a décrété une perfusion en catastrophe pour tenter de ranimer le malade : il a promis, d’ici à 2030, de doubler le budget pour atteindre 3 milliards d’euros. Mais, vu l’état du patient décrit en juin par la Cour des comptes, c’est cautère sur jambe de bois.

Cinquième roue du char

En cas de conflit majeur, le Service de santé des armées, faute de moyens suffisants, ne pourrait pas prendre en charge la totalité des blessés : il lui faudrait cinq hôpitaux de campagne, chacun équipé de 15 blocs chirurgicaux et de 300 lits.

Problème : aujourd’hui, la France est incapable de monter le moindre hôpital de campagne. La dernière fois, c’était il y a dix ans, en Afghanistan. Depuis, elle ne compte plus assez de toubibs et d’infirmiers. Le SSA a été amputé de 1 540 personnels en dix ans, soit 9 % des effectifs.

En octobre 2021, déjà, le patron du Service de santé des armées avait tiré la sonnette d’alarme : « Le SSA est dans l’incapacité, aussi bien sur le plan humain que matériel, de soutenir l’hypothèse d’engagements majeurs. » Sept mois plus tôt, lors d’un exercice mené aux États-Unis, l’armée française avait découvert avec effarement le coût humain d’un « engagement de haute intensité ».

La simulation, calculée sur la base d’un corps expéditionnaire de 15 000 soldats français, s’était soldée — après dix jours de combats — par 1 700 tués et 11 000 blessés ; 1 100 éclopés à soigner par jour, c’est très au-delà des capacités du SSA. A la Cour des comptes, l’état-major des armées a expliqué qu’il était conscient du problème mais qu’il ne pourrait s’atteler à ce chantier avant 2027… Les blessés attendront !

Pour les établissements en dur, le tableau n’est guère plus reluisant. Les cinq hôpitaux d’instruction des armées n’alignent que 1 480 lits, contre 2 682 en 2009. Plus grave, ils ne peuvent projeter que 48 équipes chirurgicales, « alors qu’il en faudrait 65, à l’horizon 2025, pour répondre aux besoins militaires », déplore la Cour des comptes. À quoi s’ajoute la décrépitude des bâtiments, mais aussi des équipements.

Sous perfusion

A Perey, pourtant considéré comme la vitrine des hôpitaux militaires, 80 % du matos est vétuste. Quant au nouvel hôpital dont Macron avait annoncé, en juin 2023, la construction à Marseille (pour une ouverture d’ici à 2030), son financement n’a pas été prévu par la loi de programmation militaire. C’est dire…

Pour mettre un peu de beurre dans les rations, le SSA compte sur la Sécurité sociale. Les soins prodigués aux civils dans les établissements militaires lui apportent un tiers de son budget et lui permettent de maintenir le niveau de compétence de ses toubibs.

En 2016, en cédant — à contrecœur — au ministère de la Recherche l’hôpital du Val-de-Grâce, son berceau historique, le SSA pensait renflouer un tantinet ses caisses. Las ! la compensation financière promise se fait toujours attendre. Plus préoccupant encore, le SSA peine à recruter.

Entre 2018 et 2022, les candidatures à l’École de santé des armées ont diminué de 12 % et celles des personnels paramédicaux de 54 %. Comme le soulignent les magistrats, « il en résulte des problèmes majeurs d’attractivité et de fidélisation des personnels, notamment pour certaines spécialités médicales et pour la plupart des métiers paramédicaux, les emplois non pourvus étant croissants ».

L’ordonnance du docteur Lecornu suffira-t-elle à sauver le malade, ou sera-t-il maintenu en soins palliatifs ?


Odile Benyahia-Kouider et Christophe Labbé. Le Canard enchaîné. 25/10/2023


2 réflexions sur “Catastrophique Santé Militaire

    • Libres jugements 31/10/2023 / 14h43

      À vrai dire Christine je ne sais pas si l’imprévoyance d’une possibilité de soins dans les armées est grave ; Faisons-nous simplement la réflexion – en excluant un cas de conflit local ou international –, simplement au cas où : un ouragan d’ampleur, un séisme, une crue exceptionnelle, un feu, une épidémie inédite, etc. amène les autorités à faire appel aux bons soins de l’armée. Armée qui normalement devrait disposer d’hôpitaux de campagne et de professionnels aguerris pour faire face à ce genre de situation.
      En lisant cet article, nous pouvons douter de l’efficacité du service de soins aux armées.
      Amitiés
      Michel

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