Un certain éclairage…

Le conflit Hamas-Israël est plus complexe que certains experts ou journaleux des auditeurs ou lecteurs de médias le disent… mais les civils — palestiniens comme israéliens — sont en dessous et ils trinquent.

L’ancien journaliste, spécialiste du Proche Orient, Charles Enderlin, retrace l’histoire de l’émergence du Hamas à Gaza et du rôle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. « Ce qui est arrivé le 7 octobre, c’est l’échec d’une stratégie », estime-t-il.


  • Vous avez écrit sur les millénaristes et l’émergence du Hamas favorisée par les gouvernements israéliens. Comment analysez-vous les attaques du 7 octobre ?

Ce qui est arrivé le 7 octobre 2023, c’est l’échec d’une stratégie, d’une vision, d’une politique et d’une idéologie. Quand une nation subit une surprise stratégique de cette ampleur, cela signifie que tous les échelons non seulement du pouvoir mais aussi de la société sont concernés.

Selon moi, c’est la conséquence de la stratégie menée par Israël envers les Palestiniens depuis 2005 et le retrait unilatéral des colonies de Gaza décidée par Ariel Sharon.

La communauté internationale applaudissait, croyant qu’il s’agissait d’un pas vers la paix. Ce n’était pas le cas. J’étais alors dans le bureau du négociateur palestinien Saeb Erekat qui suppliait au téléphone le bureau du premier ministre israélien, Ehoud Olmert – Sharon était déjà dans le coma –, de laisser Mahmoud Abbas déployer à Gaza un bataillon de policiers palestiniens formés en Jordanie par les Américains et les Jordaniens, avec l’accord des services israéliens.

Il s’agissait de renforcer la police et les services de sécurité de l’Autorité autonome. La réponse a été non. Le retrait s’est fait en laissant la police d’Abbas en position d’infériorité face au Hamas.

Ensuite, sont venues les élections législatives palestiniennes : le renseignement militaire, le Shin Bet et même la CIA disaient aux Israéliens : « Il ne faut pas laisser le Hamas présenter des candidats aux élections, car ils risquent de les remporter. Ces élections s’inscrivent dans le cadre du processus d’Oslo, donc on ne peut pas laisser le Hamas qui veut le détruire y entrer. » Mais le Hamas a présenté des candidats et a remporté les élections comme prévu.

Ensuite, en 2007, le Hamas lance un coup de force à Gaza, passe à l’assaut des institutions de l’autorité autonome, tue 120 combattants du Fatah.

Les généraux israéliens vont voir le premier ministre et lui disent : « On veut envoyer trois hélicoptères de combat pour soutenir le Fatah, l’Autorité palestinienne. »

Là aussi, la réponse a été négative. La direction israélienne avait décidé de laisser le Hamas contrôler Gaza. À ce moment-là, en Cisjordanie, la police palestinienne et l’armée israélienne avaient repris leur coordination.

  • Est-ce à ce moment-là que débute ce « pas de deux » entre le Hamas et le gouvernement israélien ?

Ce n’est pas un pas de deux, c’est la décision stratégique du pouvoir israélien de laisser Gaza au Hamas pour bloquer toute possibilité d’accord avec les Palestiniens. L’objectif : Séparer Gaza de la Cisjordanie. […]

[…]

  • Vous vous êtes exprimé très récemment sur ce sujet, une enquête a également été publiée par le quotidien israélien Haaretz… Comment se déroulait ce financement ?

Cela fait des années que je l’explique. Un jet privé venant du Qatar arrivait à l’aéroport Ben Gourion, un émissaire descendait avec des valises pleines de dollars, puis un convoi de la police israélienne l’accompagnait depuis le tarmac jusqu’à l’entrée de Gaza. Les valises étaient remises au Hamas, puis l’émissaire revenait et repartait dans l’avion. Je ne sais pas si ce sont des cadeaux du Qatar au Hamas ou s’ils étaient faits pour le compte d’Israël. Sur un temps long, cela représente des milliards.

  • S’il est difficile de déterminer l’origine de ce financement, est-il certain qu’il bénéficiait de l’assentiment d’Israël ?

Complètement. Pour autoriser l’arrivée d’un jet privé avec des dollars en liquide pour le Hamas, il faut l’autorisation du premier ministre de l’État d’Israël, de Netanyahou qui en 2019 expliquait aux députés du Likoud : « Qui veut empêcher la création d’un État palestinien, doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert de fonds au Hamas ».

  • Pendant les derniers mois, avez-vous décelé des signes annonciateurs des massacres du 7 octobre du côté du Hamas ? Quid du gouvernement de Benyamin Netanyahou ?

Dès la formation du gouvernement Netanyahou fin décembre 2022, j’ai eu le sentiment, que cette coalition ultranationaliste, orthodoxe et messianique, menerait à une catastrophe. […] Il faut dire que le programme gouvernemental proclamait d’emblée : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur la terre d’Israël. Le gouvernement développera l’implantation partout, y compris en Judée-Samarie (la Cisjordanie). »

Dès le 4 janvier, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a présenté le projet de refonte judiciaire destiné à émasculer le pouvoir de la Cour suprême, le seul contre-pouvoir. Surtout Benyamin Netanyahou, pour réaliser le changement de régime, a fait entrer dans sa coalition les colons les plus radicaux, les plus racistes. Ils sont sur la même ligne idéologique que lui, persuadés que le peuple palestinien est une création factice du monde arabe pour détruire Israël. Il l’a écrit dans son livre programme, publié en 1993, Une place au sein des nations.

[…]

  • Qu’est-ce qui a changé depuis dix ans ?

Leur infiltration dans toutes les strates du pouvoir. Netanyahou les y a fait entrer comme ses alliés. Le gouvernement actuel compte des gens comme Bezalel Smotrich, Avi Maoz qui est un illuminé intégriste homophobe et raciste, qui ne veut pas de femmes en politique ni à l’armée, Orit Strook qui habite une colonie à l’intérieur d’Hébron. Ou encore Itamar Ben Gvir, le kahaniste ouvertement raciste…

[…]

À cela, il faut ajouter les ultraorthodoxes. Ils veulent garantir l’autonomie de leur communauté : pas d’armée, pas de travail, mais un financement de l’État. Dans les mois qui ont suivi la formation de ce gouvernement, on a assisté à un véritable pillage du budget de l’État. Des milliards sont allés dans les écoles talmudiques. D’un coup, Israël, pays high-tech, se retrouve avec des histoires moyenâgeuses…

  • Ce gouvernement a été très contesté par ce que l’on appelle le « mouvement pro-démocratie » ? Pensez-vous que celui-ci puisse avoir un avenir après les attaques du Hamas et la guerre actuelle ?

Je n’ai jamais vu les Israéliens manifester de la sorte contre le gouvernement. […]

  • À Gaza, la situation est catastrophique, croyez-vous qu’il existe un risque de « seconde Nakba » ?

Non, il n’y aura pas d’expulsions de Palestiniens de Gaza. D’abord parce que l’Égypte n’en veut pas, et n’en a jamais voulu. […]

  • Dans ce cas, quel est l’objectif de Benyamin Netanyahou et de son gouvernement ?

L’objectif est simple : Israël vient de subir la plus grande défaite militaire depuis sa création et ne peut pas accepter l’existence à sa frontière d’une organisation capable de commettre de tels massacres. La mission confiée à l’armée est donc la destruction des capacités militaires du Hamas. […] Cette guerre déclenchée par les massacres commis par le Hamas mène à des bains de sang comme la région n’en a pas connu depuis longtemps.

  • Venons-en à la Cisjordanie. Alors que tous les regards sont braqués sur Gaza, une centaine de Palestiniens y ont été tués depuis le 7 octobre. Quel regard portez-vous sur la situation ?

Les colons, et les plus radicaux d’entre eux, profitent de l’absence de l’armée qui maintenait un semblant d’ordre, pour attaquer des agriculteurs palestiniens, détruire des maisons. Il faut suivre la situation de très près, et ce serait peut-être le moment pour la communauté internationale et les Européens de s’exprimer et de condamner ces attaques de colons. Leur silence est scandaleux.

  • Pensez-vous qu’à un moment la société israélienne va demander des comptes à Netanyahou ?

Je l’espère ! Et je le crois, oui. Je vois autour de moi des gens qui étaient favorables à « Bibi » il y a un an et qui sont violemment contre aujourd’hui, dans un électorat plutôt séfarade, de classe moyenne. Les Israéliens lui reprochent la catastrophe, la gestion qui y a conduit, l’argent qui est allé là où il ne devait pas, dans les colonies, chez les orthodoxes, le non-développement de secteurs entiers du territoire, la corruption, l’impréparation militaire, l’échec de la défense passive…

On a installé une barrière pour un milliard de dollars et elle a tenu dix minutes. Selon les sondages, si des élections avaient lieu, ce gouvernement serait totalement ratiboisé. Mais « Bibi » fait tout pour rester au pouvoir, et prépare l’après-guerre par toutes sortes de combines.


Benjamin König. L’Humanité. Source (extraits)


2 réflexions sur “Un certain éclairage…

  1. rblaplume 29/10/2023 / 18h32

    Merci Michel de nous adresser  ce texte , en ces moments particuliers où les vertiges de l’émotion nous saisissent  à travers   les images, les sons traduisant cette actualité de guerres. 
    Ces bruits médiatiques nous assaillent et nous empêchent de penser.

    Excellente initiative que la production de ce texte publié dans l’Huma concernant l’entretien avec Monsieur Charles Enderlin.

    Dans le même  ordre d’idée, je vous invite à écouter sur « You tube », hélas,  des séquences concernant :
    Ben Gourion ( la fondation d’Israël), Pascal Boniface l ( comprendre l’embrassement israelo-palestinien , il y a deux ans) Arte  le Dessous des cartes Spécial Israël-Palestine, la brève histoire de Gaza, l’histoire du Hezbollah. Aux origines du conflit israélo-arabe avec Georges Bensoussan. France culture  le cours de l’histoire par Xavier Mauduit : histoire du conflit israélo-.palestinien en quatre sessions.

    Il y en a sûrement d’autres en plus d’une moultitude de livres et d’ articles de presse.
    Vous pouvez compléter cette rubrique.

     Élargissez le plus possible  vos sources d’informations. Votre esprit critique gagnera en acuité et vous serez en mesure de mieux comprendre les enjeux historique, économique et géopolitique de ce que nous vivons.

    • Libres jugements 30/10/2023 / 0h06

      Merci Robert, pour ce commentaire prônant la recherche de l’origine des faits, de l’engrenage8 amenant a l’existence du conflit. Certes c’est une autre analyse que celles présentées par des medias plus avides de faire du buzz, de l’audience, leurs permettant d’engranger d’importants emoluments via les annonces publicitaires.

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