Le premier de la classe, costume stricte, cravate, chemise blanche, chaussures cirées, bon récitant les paroles du seigneur Élyséen, à tout pour mériter le mépris des enseignants après ce sondage…
« J’ai halluciné quand j’ai découvert certaines questions très déplacées posées dans le sondage, comme nombre de mes collègues proviseurs et principaux. »
Voilà ce que confie au « Canard » un chef d’établissement du secondaire.
Comme 800 de ses homologues, il a reçu, le 4 octobre 2023, un courriel de l’institut CSA — mandaté par le ministère de l’Education nationale l’invitant à répondre à une enquête d’opinion en ligne. L’objet du questionnaire ? Sonder l’état d’esprit des chefs d’établissement après la rentrée 2023 », mais aussi leur « perception du système éducatif français », afin de permettre au ministère de « mieux connaître [leur] ressenti et [leurs] attentes ».
Quelle délicate attention !
Un certain nombre de questions s’avèrent des plus classiques : « Diriez-vous que la rentrée scolaire s’est déroulée dans de très bonnes conditions ! dans d’assez bonnes conditions ! dans d’assez mauvaises conditions ! dans de très mauvaises conditions ? »
D’autres, cependant, se révèlent beaucoup plus… politiques : « Si des mouvements de protestation avaient lieu sur des sujets concernant l’Education nationale, seriez-vous prêt à y participer ? »
Trop timide, le ministère n’ose pas demander aux proviseurs quels slogans ils prévoient pour leurs pancartes en manif…
Les chefs d’établissement sont aussi sondés sur le ministre lui-même : « Faites-vous confiance à Gabriel Attal pour exercer ses fonctions en tant que ministre de l’Education nationale ? » En cas de réponse négative, ils se voient poser une question ouverte : « Et pour quelle(s) raison(s) ne faites-vous pas confiance à Gabriel Attal pour exercer ses responsabilités en tant que ministre ? »
Baromètre d’école
Mais la question la plus intrusive du sondage reste la dernière : « Parmi les partis politiques suivants, pouvez-vous dire duquel vous vous sentez le plus proche ou, du moins, le moins éloigné ?»
Répondre « Ne se prononce pas » reste toutefois possible. Ouf !
« On ne voit en rien ce qui justifie ces questions de la part d’un ministre aux fonctionnaires de son ministère. L’interdiction de la création de fichiers politiques est un principe fondateur de la protection des données personnelles depuis 1978 », estime l’avocat Jean-Baptiste Soufron, spécialiste des libertés numériques.
Du côté de l’institut de sondage CSA, on se défend en ces termes : « Depuis 2006, cette enquête pose la question de la proximité politique des chefs d’établissement. Le fait de poser des questions politiques n’est pas interdit ; ce qui le serait, ce serait de permettre à notre client de faire le lien entre ces données et l’identité des personnes qui ont répondu à cette enquête (…). En aucun cas le ministère ne peut connaître l’identité des personnes interrogées et la lier à leurs réponses. »
Il ne manquerait plus que ça !
Sauf que, parmi les grands principes consacrés par le règlement général sur la protection des données (RGPD), figure celui de la « minimisation », qui « prévoit que les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ».
Dès lors, juge un expert de la protection des données personnelles, « dans un sondage dont la finalité est de connaître la perception de la rentrée par des chefs d’établissement, il est totalement injustifié de leur demander leur positionnement politique ».
Interrogé, le cabinet de Gabriel Attal botte en touche, rappelant que ce baromètre confidentiel sur la rentrée scolaire est « un dispositif historique » du ministère.
Il ne faut pas compter sur Attal pour remettre en question les pratiques de ses prédécesseurs ?
Clara Bamberger. Le Canard enchaîné. 11/10/2023
Quand Gabriel Attal parle observez son regard. On dirait un illuminé.