J’t’en cause d’langue française

« Ziboulateur », « tataouiner », « fissa », « charabia »…

Des mots inscrits dans le ciel lexical zébré surplombant la cour du jeu de paume du château de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, ville dans laquelle fut édictée au XVIe siècle l’ordonnance du même nom ayant imposé l’usage du français en droit et dans les administrations.

« Une langue vivante et accueillante, qui n’a pas besoin d’être protégée », glisse son directeur, Paul Rondin. D’une salle à l’autre, le visiteur voyage sur les traces d’un vocabulaire qui s’invente au gré d’emprunts divers, sourit des bizarreries orthographiques qui ont crispé des générations d’écoliers, explore les nuées de circulaires et de règlements qui ont tenté de figer notre rapport au français…

De quoi expliquer la violence des polémiques qui opposent aujourd’hui les tenants d’une langue en constante évolution aux gardiens du temple.

Quintessence de cette empoignade hexagonale : le collectif « Les linguistes atterré(e)s » a publié avant l’été un manifeste intitulé « Le français va très bien, merci », auquel une ribambelle de gens de lettres — linguistes également, mais aussi écrivains, poètes, lexicographes, philologues… — a répondu par une tribune dans Le Figaro, titrée « Le français ne va pas si bien, hélas ».

Échange de politesses moins courtois qu’il n’en a l’air. « L’accumulation de déclarations catastrophistes sur l’état actuel de notre langue a fini par empêcher de comprendre son immense vitalité, sa fascinante et perpétuelle faculté à s’adapter au changement, et même par empêcher de croire à son avenir ! » clament les premiers.

« On apprécie que soit souligné combien […] les langues sont « soumises à des règles », mais pourquoi alors fustiger le questionnement légitime : « est-ce que c’est correct ? », Protestent les seconds, avant de poursuivre : quel étonnement de lire, comme si ce n’était plus à enseigner, que « le participe passé avec l’auxiliaire avoir tend à devenir invariable » : la lecture de la presse suffit à constater qu’il n’en est rien. C’est comme si on affirmait que l’infinitif et le participe passé tendent à se confondre, la faute existant dans les copies. À ce train-là, on peut supprimer l’enseignement de l’orthographe… ».

Recours aux anglicismes, féminisation des métiers, simplification de l’orthographe, langages SMS… on ne compte plus les sujets qui hérissent les thuriféraires d’un français classique, galvanisée par les avis d’académiciens qui se posent en lanceur d’alerte contre une dérive tant esthétique morale.

C’est que dans notre pays, la défense du « bon Français » est une affaire d’État ont ou d’emploi a donc été donné par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539, demandant que tous les arrêts de justice soient prononcés, enregistrés et délivrés en français. À ce moment-là, écrire dans cette langue n’a rien d’une évidence, y compris pour Montaigne, qui préfère le béarnais : « j’écris mon livre pour peu d’hommes et pour peu d’années. Si cela avait été une matière destinée à durer, il aurait fallu la confier à une langue stable. D’après la variation continuelle qui a accompagné la nôtre jusqu’à l’heure actuelle, qui peut espérer que sa forme actuelle sera en usage dans cinquante ans d’ici ? » déclare-t-il dans Ses essais (livre III).


Marion Rousset. Télérama. N°3849. 18/10/2023 (EXTRAITS)


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