La campagne de prévention contre les accidents du travail, lancée par Olivier Dussopt est pleine de trous. Pas de moyens humains ou financiers en plus « Silence sur les précaires et sur les indemnisations ».
Deux morts, plus de 100 blessés graves par jour, des handicapés en pagaille…
Le ministère du Travail, qui, le 25 septembre, a lancé une campagne de lutte contre les accidents professionnels par voie de clips et d’encarts dans la presse écrite, rappelle ces chiffres accablants sans prendre de gants de protection.
Fort bien, réagit Gérard Le Corre, inspecteur du Travail et spécialiste du sujet à la CGT, mais il y a deux grands absents dans cette campagne, validée par le ministre Olivier Dussopt.
D’abord, les travailleurs victimes de ces accidents sont peu visibles sur ces images. Ensuite, leurs droits sont absents, notamment le droit de retrait de tout salarié qui constate que les conditions de sécurité ne sont pas suffisantes pour éviter un danger grave.
Vendanges fatales
Au mois d’août (où l’activité, pourtant, ralentit), la presse régionale a rapporté une vingtaine de cas – mortels une fois sur deux — de chute d’ouvrier sur des chantiers. « Qui rappelle qu’un couvreur doit disposer d’échafaudages périphériques, de filets protecteurs ? poursuit Le Corre. Je n’ai pas le souvenir d’accident sur lequel il n’y avait pas d’infraction constatée. »
Autres invisibles de la campagne gouvernementale : les précaires. « Les travailleurs étrangers détachés, les autoentrepreneurs n’apparaissent pas dans les tableaux, et, pour les intérimaires, on ne connaît pas l’entreprise utilisatrice », souligne Véronique Daubas Letourneux, sociologue et enseignante à l’École des hautes études en santé publique de Rennes. Le Code du travail ne leur octroie qu’une place secondaire, ce pourquoi, explique-t-elle, « il est très difficile d’incriminer le donneur d’ordre ».
Certains maux du travail, par ailleurs, sont difficiles à cerner, en particulier les burn-out : si la Sécu en a recensé plus de 10 000 en 2016, le cabinet Empreinte humaine estimait en octobre 2021 que 2,5 millions de salariés se trouvaient frappés par cette dépression professionnelle.
Et comment mesurer les dégâts sociaux causés par la canicule ? Au début de septembre, sept ouvriers agricoles sont morts dans les vignes de Champagne et du Beaujolais — la plupart victimes d’un arrêt cardiaque. Plutôt que de s’interroger sur les conditions de cueillette sous le cagnard, le président du syndicat des vignerons champenois a préféré accuser les vendangeurs (« Le Monde », 26/9) : « J’héberge et nourris des jeunes qui ne déjeunent pas le matin et travaillent torse nu et sans casquette. On n’est pas des mamans. » De profundis…
S’il se veut bon conseilleur, Olivier Dussopt se révèle mauvais payeur : pas de moyens supplémentaires pour étoffer le corps des 1 700 inspecteurs du Travail, pourtant en sous-effectif chronique. Mauvais calcul : ce fléau coûte cher (aussi) à l’économie. Selon l’assurance-maladie, le seul BTP -qui ne totalisait, en 2018, que 14 % des accidents — avait, cette année-là, perdu 8 millions de jours de travail, soit l’équivalent de 36000 emplois. Facture ? Plus de 1 milliard d’euros versés par la Sécu.
Pas de bol : la réforme des retraites devrait amputer de 800 millions la caisse (dite « AT/MP ») consacrée à ces paiements. Dans un ouvrage paru au printemps, « L’Hécatombe invisible – Enquête sur les morts au travail » (Seuil), l’enseignant Matthieu Lépine recense les lois qui, depuis quelques années et particulièrement sous des gouvernements de gauche -, fragilisent les droits des victimes potentielles : suppression des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT), règles dérogatoires pour les CDI intérimaires, assouplissement des textes empêchant de licencier un accidenté du travail pour inaptitude, fiscalisation de ses indemnités journalières, etc.
Bavures irréparables ?
La réparation des dommages créés par une blessure au boulot se révèle notoirement insuffisante. Lors de l’explosion d’AZF à Toulouse (2001), par exemple, les salariés de l’usine avaient perçu des dédommagements inférieurs à ceux des riverains, eux-mêmes mal indemnisés.
« Mieux lutter contre les accidents du travail implique de les montrer », insiste Gérard Le Corre. En les traitant tel « un fait divers qui fait diversion », comme le disait le sociologue Pierre Bourdieu, les médias participent parfois à leur banalisation. Et cela au détriment des responsabilités incombant aux chefs d’entreprise (défaut de formation, équipements insuffisants, sous-déclaration de l’accident pour éviter toute enquête).
Certains prendraient-ils trop au sérieux cette déclaration d’Emmanuel Macron, qui, ministre de l’Économie, affirmait en octobre 2016 que, dans le monde du travail, c’était « l’entrepreneur [qui] pren[ait] tous les risques » ?
Jérôme Canard. Le Canard enchaîné. 11/10/2023
Une réflexion sur “Accidents du travail !”