La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas.
La devise du « Canard » ne date pas d’hier et reste d’actualité, même si l’actualité rappelle que cette même liberté de la presse peut aussi être menacée quand on s’en sert.
La perquisition et la longue garde à vue subie par notre consœur de Disclose Ariane Lavrilleux (« Le Canard », 27/9) pour connaître ses sources dans une affaire de vente de matériel vient de le rappeler à ceux qui en auraient douté.
La menace est d’autant plus d’actualité qu’elle survient au moment où Macron, entre deux conseils nationaux de planification, lance ses États généraux de l’information, « pour protéger l’information libre face aux ingérences ». Protéger des ingérences alors qu’en même temps les magistrats en usent au nom du « secret-défense », qui entend primer sur le secret des sources ? À quand les États généraux de la cohérence ?
Ces ingérences sécuritaires s’ajoutent à celles, économiques, qui sont les premières à peser sur la liberté d’informer. Ces États généraux, promesse de campagne de Macron, ont été programmés en pleine grève du « Journal du dimanche » contre sa reprise autoritaire par le milliardaire Vincent Bolloré, qui a aussitôt imposé à sa tête un journaliste extrême-droitier.
Si parmi les sujets de discussion figure un droit d’agrément « sur la nomination du directeur de la rédaction », ce n’est malheureusement pas demain que les journalistes auront leur mot à dire sur le choix de leurs propriétaires.
Et, on le sait, ces derniers, comme les principaux actionnaires de la grande majorité des médias français, ne sont pas des patrons de presse, mais des dirigeants de grands groupes industriels ou financiers.
Lesquels, en investissant dans ce secteur, surtout celui de la presse écrite, en difficulté, visent bien sûr, tout en bénéficiant d’une bonne part des aides à la presse, l’influence avant la rentabilité. Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Drahi, Kretinsky, Lagardère, Niel, Pinault, Safa et maintenant Saadé, sur lequel mise Macron pour contrer Bolloré.
La liste est longue des hommes d’affaires qui détiennent ainsi le « droit d’informer ».
Un sondage publié à l’occasion de ces États généraux indique que 82 % des sondés estiment que les médias sont « sous contrôle » de ces gros groupes. Un contrôle plus ou moins autoritaire ou pesant, mais qui, à un moment ou à un autre, remet l’indépendance en question.
Rares sont les journaux qui y échappent. Parmi les quotidiens et hebdos nationaux, seuls quatre titres, avec plus ou moins de difficultés, ne sont pas tributaires de tels actionnaires. Ce sont « La Croix », « L’Humanité », « Charlie Hebdo » et « Le Canard enchaîné ».
Ce dernier, qui vit de ses seules ventes et publie ses comptes dans ce numéro, mesure chaque semaine le luxe rare que représente le fait de n’être dépendant ni d’un groupe financier, ni d’une banque, ni de la publicité, ni des aides de l’État à la presse, qu’il peut, grâce au nombre et à la fidélité de ses lecteurs, se permettre de refuser.
Car, sans indépendance financière, il n’y a pas de véritable indépendance.
Ce que Robert Hersant, « papivore » qui dirigea « Le Figaro », avant de le céder à Dassault, résumait en son temps de façon plus terre à terre par « La liberté de la presse commence et s’arrête au bord du tiroir-caisse ».
Cette évidence, avec ou sans États généraux de l’information, a beau dater, elle reste d’une cruelle actualité.
Erik Emptaz. Le Canard Enchainé. 04/10/2023