… en dehors de situer villages, villes, capitales, états, participe à la compréhension de l’histoire des peuples, les dominances et raisons économiques des pays, etc. Pourquoi Lyon fut la capitale des Gaules, pourquoi Paris aujourd’hui plus que Bordeaux, autant de questions expliquées grâce à la géographie. MC
Bien davantage qu’une discipline scolaire, la géographie éclaire notre rapport au monde. Et, défend le géographe Michel Foucher, peut devenir un levier d’émancipation.
Le Festival International de Géographie (FIG) de Saint-Dié-des-Vosges va tenir sa 34ᵉ édition, du 29 septembre au 1ᵉʳ octobre 2023, avec un succès renouvelé d’année en année, attirant familles, étudiants, chercheurs, gens de lettres, enseignants, militaires, agents de la fonction publique, membres d’ONG…
L’occasion pour le géographe Michel Foucher d’évoquer cette discipline, la géographie, dont il est l’une des figures majeures en France. […]
- Comment expliquer le succès du FIG, succès tel que ce festival unique envisage de se décliner à l’étranger ?
Michel Foucher : La géographie aide à voir plus clair. Elle permet de se situer. Bien plus qu’une discipline scolaire qui consisterait à savoir placer des noms sur une carte et mémoriser des chiffres fastidieux, elle est la science de l’espace par excellence. Un espace qu’elle sait, par sa méthodologie, lire et décrypter.
Aussi bien l’espace immédiat dans lequel nous vivons que l’espace des relations internationales, qui est le nôtre aussi, étant donné que nous vivons tous désormais la mondialisation. […]
La géographie, par son pragmatisme, son ancrage dans des réalités matérielles et physiques, mais aussi son acuité analytique et sa science de la cartographie, éclaire cette complexité et donne des clés de lisibilité. Les géographes sont bel et bien des « éclaireurs », au sens où Edgar Morin l’entend.
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En France, le système éducatif a couplé l’enseignement de la géographie à celui de l’histoire. Un couplage dont on comprend les raisons — en se complétant, les deux disciplines sont supposées dessiner la carte d’identité du pays —, mais que l’on peut néanmoins interroger : pourquoi pas, dans ce cas, allier plutôt la géographie aux sciences du vivant, étant donné qu’elle est elle-même la synthèse de toutes les sciences de la Terre […]
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… c’est bien la géographie qui a toujours fait l’histoire, non le contraire !
- Que voulez-vous dire ?
« La politique d’un État est dans sa géographie », disait de Gaulle, qui avait fait l’École de guerre — et Napoléon avant lui. Cela signifie que l’espace sur lequel travaillent les géographes territoires, ressources naturelles, populations humaines… — est aussi celui, constitutif, de l’État : celui sur lequel il exerce sa souveraineté.
Or, il faut bien le garder à l’esprit, les ressources sont inégalement réparties à la surface du globe (comme on le voit avec les métaux critiques aujourd’hui), tout comme les territoires nationaux n’ont pas les mêmes conditions géographiques […].
Cela suscite nécessairement des convoitises, des jalousies ?
Des projections de puissance, des désirs de suprématie, ceux-là mêmes qui font la grammaire des relations internationales et que l’on a pu encore vérifier l’an dernier avec l’offensive russe en Ukraine.
On a bien vu alors que le chiffre de la production de blé en Ukraine, péniblement mémorisé sur les bancs de l’école, prenait tout à coup une dimension vitale, surtout quand il se mettait à diminuer de moitié.
Mais ce que cette guerre unilatéralement déclarée a notamment montré, c’est que la géographie, loin de se réduire à l’observation de données empiriques, est aussi affaire d’imaginaire. J’ai voulu mettre ceci en lumière, dans Ukraine-Russie.
La carte mentale du duel. « La géographie relève de l’instruction civique, car elle participe à la conscientisation de l’espace qu’on habite. »
Il met en évidence, en effet, un autre type de carte : l’espace intime, intérieur, irrationnel, des décideurs.
- La géographie aide donc à lire cet espace-là aussi ?
L’espace des cartes mentales des dirigeants est, comme celui de tout humain, tissé d’affects, de fantasmes, de croyances mêlés… à ceci près qu’eux ont le pouvoir de lui donner forme. […]
- Contre toute attente, la géographie, cette science « terre à terre », se mêlerait donc de psychologie ?
Elle a tout à gagner à croiser son approche et ses données avec celles d’autres sciences. […]
Propos recueillis par Lorraine Rossignol. Télérama. Source (très courts extraits)
Michel Foucher est l’auteur, ente autres, de L’Invention des frontières (1986), L’Obsession des frontières (2007) et du Retour des frontières (2016).
Voir aussi les excellents livres de l’historien-géographe, Fernand Braudel. (Celui qui voilà plusieurs décennies me fit comprendre l’histoire. MC)
Oui et on comprend [entre autre] pourquoi le contrôle de la mer d’Azov est essentiel pour la Russie, pays encerclé par les glaces.
Certes Bernard… et pour autant cela n’explique pas, au sud, l’envahissement de l’Ukraine par la Russie. À l’extrême limite et dans la lignée de ton commentaire l’invasion de la Crimée serait une garantie de libre accès de la mer d’Azov à la mer Noire. Mais alors, pourquoi ne pas avoir envahit tous les pays bordant ces mers…
La encore la géographie rejointit l’histoire, la géopolitique, les intérêts états et financiers.
Amitiés
Michel