Vertige à l’ONU

Voilà un homme qui n’est ni un amish, ni un écoterroriste, ni un Khmer vert, il est secrétaire général de l’ONU, pas un rigolo.

Antonio Guterres l’est « rigolo » depuis 2017.

L’an dernier, son mandat a été renouvelé pour cinq ans. L’Organisation des Nations unies rassemble 193 pays, soit la quasi-totalité des États du monde. Même si elle s’est montrée impuissante à de nombreuses reprises (Rwanda, ex-Yougoslavie, Ukraine, etc.),

l’ONU dispose de vrais pouvoirs. Elle abrite non seulement le Conseil de sécurité, mais aussi une douzaine d’agences, de l’OMS à la Banque mondiale en passant par le Giec.

Antonio Guterres est un homme politique portugais. Il a 74 ans. Il a été Premier ministre. Il est socialiste. Il a fait des études d’ingénieur. Il sait lire un bilan, et pas seulement un bilan financier. Voilà longtemps qu’il a pris conscience de la gravité du réchauffement climatique et de l’effondrement du vivant. Et qu’il y a urgence.

Depuis qu’il est patron de l’ONU, il ne cesse d’exhorter les pays membres à agir. Il s’est exprimé « dans des termes inhabituellement francs et passionnés à ce niveau de responsabilité », note un observateur dans « Libération » (19/9), qui lui consacre un passionnant portrait.

Ainsi, l’an dernier, il a dit : « Les militants du climat sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux, alors que les véritables radicaux dangereux sont les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles. » Il a dit : « Le changement climatique est en train d’atteindre une portée destructrice inouïe.

Pourtant, alors même que les symptômes s’aggravent rapidement, nous nous enfonçons chaque année un peu plus dans notre addiction aux combustibles fossiles. » Il a dit : « Nous allons vers une catastrophe mondiale. » Il a jugé les États « pitoyablement pas à la hauteur ». Il a dit : « Les multinationales remplissent leurs comptes bancaires tout en vidant notre monde de ses ressources naturelles.

Les écosystèmes sont devenus des terrains de jeu pour faire des profits. Avec notre appétit insatiable pour une croissance économique incontrôlée et inégale, l’humanité est devenue une arme d’extinction massive. Nous traitons la nature comme nos toilettes. Et finalement nous nous suicidons par procuration. »

Mais rien ne bouge, ou presque. Voilà deux semaines, l’ONU a publié le premier bilan mondial des actions climatiques engagées depuis l’accord de Paris, en 2015. C’est accablant : au rythme actuel, jamais les objectifs affichés ne seront atteints.

Alors Antonio Guterres a de nouveau haussé le ton. Le 20 septembre, lors du Sommet de l’ONU sur l’ambition climatique, il a dit que notre addiction aux énergies fossiles avait « ouvert les portes de l’enfer » et a refusé de donner la parole à ceux qui n’avaient à proposer qui « un réemballage des annonces des années précédentes ».

Dans la mythologie grecque, Cassandre reçoit le don de prophétie, puis cette malédiction : quoi qu’elle prophétise, personne ne l’écoutera.

Aujourd’hui, Cassandre dirige l’ONU… Vertige.


Jean-Luc Porquet. Le Canard Enchainé.27/09/2023


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