Ilham Aliyev

Le 8 octobre 2013, il y eut un moment de stupeur dans tout l’Azerbaïdjan.

Puis un immense éclat de rire. L’élection présidentielle était prévue pour le lendemain, mais les résultats furent annoncés ce jour-là, c’est-à-dire… la veille. C’est donc sans surprise qu’Ilham Aliyev, déjà président depuis 2003, fut déclaré triomphalement réélu le lendemain, une fois les excuses d’usage formulées.

Désolés, où avions-nous la tête ? C’est un sous-fifre qui a voulu faire du zèle, vous savez comment c’est, bien sûr que le suffrage est libre chez nous. La preuve, il y a dix candidats. Comment ça, nous avons corrompu certains observateurs internationaux ? Prouvez-le.

Ilham Aliyev, fils de son président de père, est toujours chef de l’État. Il a appris les règles de la démocratie et le maintien de l’ordre auprès de son paternel, qui fut officier du KGB et membre du Politburo de l’URSS. Son peuple l’adore et le réélit à chaque occasion avec plus de 80 % des voix. Il a une solide formation, puisqu’il est diplômé de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou.

Il n’y a pas que son peuple qui l’adore. Poutine ne peut rien lui refuser, surtout depuis un accord signé entre leurs deux pays en novembre 2022.

En clair, la Russie exporte son gaz vers l’Azerbaïdjan, elle-même grande productrice d’hydrocarbures, qui le réexporte vers l’Union européenne. Et l’Europe accepte de fermer les yeux sur l’origine de ce pétrole.

Sur une photo, on voit Aliyev serrer la pince à Ursula von der Leyen, chacun a l’air très sérieux, quelle rigolade.

« La diplomatie du caviar »

Erdogan aussi apprécie beaucoup Aliyev, qui le considère comme son « frère » et utilise, quand il parle de leurs deux pays, une expression sans équivoque : « Une nation, deux États. » En Europe, Bakou n’a pas lésiné sur le chéquier pour se faire des copains : plusieurs milliards ont été déversés sur le Conseil de l’Europe et les parlementaires. « C’est bien simple, le Parlement européen est une grande agence de voyages. Il n’y a pratiquement aucun contrôle sur les voyages des eurodéputés. Il suffit de trouver un vernis acceptable, du genre « conférence internationale sur la stabilité du Caucase », et c’est parti pour un séjour de deux semaines tous frais payés ! Le reste, je vous laisse l’imaginer », raconte un fonctionnaire bruxellois.

On appelle ça « la diplomatie du caviar ».

Grâce à ses nombreux protecteurs, Aliyev se sent pousser des ailes. Il vient de prendre le contrôle militaire du Haut-Karabakh, cette enclave arménienne qui avait proclamé son indépendance en 1991. Aliyev n’est pas un sauvage. Il a fait les choses progressivement. Il a d’abord augmenté de manière exponentielle ses dépenses militaires. Il a commencé avec une offensive en septembre 2020.

Puis il a organisé un blocus du Haut-Karabakh, en virant le Comité international de la Croix-Rouge, sous prétexte qu’il était à l’origine d’un trafic de cigarettes et de téléphones portables. Puis il a pris possession des lieux.

Aux Arméniens qui fuient leur territoire désormais aux mains des Azéris, il a promis que leurs droits seraient « garantis par l’État azerbaïdjanais ». On ne voit pas pourquoi ils s’inquiètent, Aliyev saura aussi se faire adorer d’eux.

« Le risque, c’est qu’Aliyev, pris d’hubris, se mette à lorgner les territoires qui le séparent de l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, située en Arménie, non loin de la Turquie et de l’Iran. Son père est né là-bas. C’est à ce moment-là que les ennuis peuvent commencer. L’Iran va s’inquiéter de cette percée, et les États-Unis peuvent réagir. D’abord parce qu’Aliyev est dans le collimateur de plusieurs groupes d’avocats américains, qui cherchent à le traîner devant la Cour pénale internationale. Ensuite parce que les Américains ont massivement investi à Erevan pour y installer des centres de production de semi-conducteurs », rappelle Gaïdz Minassian, politologue, spécialiste de l’Arménie.

Affaires de famille

La Russie s’alarme déjà de voir l’Arménie prendre ses distances. En attendant ce moment désagréable, Ilham Aliyev fait prospérer son petit business. Il est président du Comité national olympique d’Azerbaïdjan, et a fait organiser dans son pays des grands prix de F1 et l’Euro de football en 2021.

Il possède une fortune colossale, et ses enfants, au nombre de trois, disposent déjà de plusieurs dizaines de millions d’euros chacun. Pauvres petits chats, on ne sait pas de quoi demain est fait. Ils ont déjà été épinglés lors de la publication des « Panama Papers » et des « Pandora Papers », mais ça n’a pas l’air de les empêcher de dormir. Il a beau être immensément populaire chez lui, il fait tout de même un peu gaffe. Il a nommé sa femme vice-présidente.


Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 27/09/2023


Une réflexion sur “Ilham Aliyev

  1. bernarddominik 02/10/2023 / 13h38

    La Russie a fait une grosses erreur en lâchant l’Arménie . Poutine a perdu son aura de protecteur des orthodoxes. Quant à l’Azerbaïdjan il redeviendra demain un concurrent. Mais les arméniens ont fait un mauvais pari de partir, les absents ont toujours tort et les azeri ne pouvaient les massacrer: il y a trop de journalistes occidentaux sur place. Aliev à finement joué.

N'hésitez pas à commenter