De ridicules experts se penchent sur le combien nous coûte la perdition climatique ?
Parmi les experts, un certain Nicholas Stern, baron Stern of Brentford. Mathématiques à Cambridge, économie à Oxford, grand homme donc.
En 2006, il conduit une étude sur le coût du dérèglement climatique — une première — et assure qu’une prévention immédiate des lourds dommages prévisibles ne coûterait qu’un investissement modeste de 1 % du produit mondial brut (PMB) par an (1).
Non seulement tout le monde s’en fout, mais en outre, Stern lui-même se rend compte de sa balourdise, mot euphémique, comme on s’en doute. Interrogé en 2013 au cours du sommet économique de Davos, il admet s’être planté : « Je me suis trompé sur le changement climatique c’est beaucoup, beaucoup plus grave. » Et en effet, Dugenou, mais c’est trop tard, car ta prédiction à la Mme Irma aura entre-temps servi la cause du déni.
L’économie, pratiquement synonyme de la destruction des écosystèmes, ne peut évidemment concevoir les conséquences réelles du désastre en cours. Aucun esprit humain n’en est d’ailleurs capable. Mais piochons dans de tout petits exemples récents qui montrent à quel point leur « science économique » est ridicule.
D’abord Lacanau, ville balnéaire de Gironde, avec son front de mer de 1 km de long, au dos duquel s’entassent 110 commerces et 1 200 logements. La mer grignote chaque année 1 ou 2 m de plage, et la seule solution — s’il y en a une —, c’est de déménager le tout plus haut. Coût minoré en cet été : 500 millions d’euros. Qui paiera ? Qui paierait ?
Le 23 août, au moins 10 000 m³ de roche dévalent la face nord de l’aiguille du Midi (Haute-Savoie). Le 27 août, entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane, en Savoie, 700 m³ s’abattent sur une route. Pour la seule année 2022, on a recensé autour de 250 éboulements en montagne, phénomène presque inconnu avant 1990. Le sol gelé des hauteurs, qui servait de ciment solide, fond comme neige au soleil. Ce n’est donc qu’un début.
Les milliers d’incendies — près de 1 000 encore actifs — des forêts du Canada ont envoyé dans l’atmosphère des centaines de millions de tonnes de CO2, peut-être 1 milliard, tué un nombre x d’habitants des villes par les fumées, dont New York, privé l’avenir du pays de forêts irremplaçables. Et ne parlons pas des animaux. Et ne parlons pas de la beauté. Et ne parlons surtout de rien.
La Banque africaine de développement (BAD) vient de publier un rapport involontairement saignant sur l’Afrique du Nord (2). Pensons un quart de seconde au Maroc sous les décombres, à la Libye dévastée par les flots, à l’Égypte en énième crise du blé, à la Tunisie au premier rang des migrations subsahariennes. Eh bien, c’est gai.
La BAD nous dit que l’ensemble devrait investir chaque année 25,7 milliards de dollars pour seulement contenir le dérèglement. 20 % sont péniblement assemblés. Idem pour les énergies renouvelables. Il faudrait investir 183 milliards de dollars chaque année. Il n’y a pas la queue d’un.
Enfin, la Banque centrale européenne (BCE) vient de publier trois scénarios à l’horizon 2030. Si l’on veut bouger vraiment — à leur manière bien sûr, sans rien changer au fond —, l’Europe devrait mobiliser 3 200 milliards d’euros d’ici à 2030. C’est comme si c’était fait.
Résumons le propos de la semaine : les économistes sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe. Une ultime moquerie pour le couple Cagé-Piketty, chéri de la gauche, qui vient de publier Une histoire du conflit politique (éd. Seuil).
À quoi sert donc l’économie ? À parler d’autre chose.
Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo. 27/09/2023
- cairn.info/revue-d-economie-politique-2007-4-page-475.htm
- www.afdb.org/fr/documents/perspectives-economiques-en-afrique-du-nord-2023