Avocats vénaux !

Rouge de colère…

Sonia (1) se trouvait sur la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016, non loin de l’endroit où le camion du terroriste a causé la mort de 86 personnes et en a blessé 458. Quelques mois plus tard, elle est contactée par une association, Via Recours, qui lui propose de se porter partie civile.

« Je ne dirais pas que la personne insistait, mais elle me présentait très précisément tout l’intérêt que j’aurais à le faire. »

La jeune femme hésite, car elle ne veut pas se replonger dans cette tragédie, puis elle finit par accepter. L’association la met alors directement en lien avec un avocat, Me Robert Gastone. A priori, rien de répréhensible. Sauf que cette association serait une sorte d’« antichambre » du cabinet de l’avocat pour attirer de nouvelles parties civiles.

Cette association a été créée en novembre 2021, pendant le procès des attentats du 13 Novembre. D’après ses statuts, elle a pour objet d’ « assister les victimes d’infractions et d’accidents graves, en les informant de la plénitude de leurs droits et en les orientant vers des professionnels susceptibles de leur permettre d’optimiser l’indemnisation de leur préjudice corporel […] ». En réalité, « son seul objectif est de faire du démarchage pour Me Robert Gastone », dénonce un ancien salarié de l’asso, que l’on appellera Tristan (1). Les membres du bureau seraient « inexistants », « fantoches », nous dit-ont. C’est Robert Gastone qui est la véritable tête pensante de l’organisation et qui la finance. Tout est fait, d’ailleurs, pour éviter de faire le lien entre l’association et l’avocat, afin de donner l’impression que c’est une structure indépendante. « Il cherchait un montage fiscal pour qu’on ne puisse pas remonter jusqu’à lui », nous raconte Tristan.

Les salariés de Via Recours avaient pour mission de se rendre sur les lieux où se sont déroulés des attentats, accompagnés de l’avocat, afin de rencontrer de nouvelles parties civiles. […]

La démarche est-elle répréhensible ? Me Robert Gastone, que nous avons contacté, se défend : « Il y a une autre façon de voir les choses, nous allons au-devant des gens pour leur expliquer quels sont leurs droits. C’est ce que la justice devrait faire. Ceux que nous avons rencontrés, personne n’était venu jusqu’à eux. On était une sorte de voiture-balai pour contacter tous ceux qui n’avaient pas encore pu se porter partie civile. »

La frontière entre information et démarchage insistant est compliquée à établir. Me Guillaume Martine, avocat au barreau de Paris et membre du conseil de l’Ordre, reconnaît que la profession accepte maintenant une possibilité de « publicité », de « sollicitation personnalisée », alors que cela n’était pas autorisé auparavant.

[…]

Me Robert Gastone a présenté 79 parties civiles lors du procès de Nice en première instance, et 71 n’ont pas été recevables. Preuve qu’il a ratissé trop large ? On constate sur l’arrêt civil qu’il est le seul avocat à essuyer tant de refus. Il va les contester lors du procès en appel. Il estime que la possibilité d’être considéré comme partie civile est trop restreinte.

[…]

Si des avocats « cherchent » des victimes, c’est parce que les procès pour terrorisme sont une manne fmancière, via l’aide juridictionnelle. D’habitude, on déplore plutôt ses montants dérisoires. Mais pour des procès d’assises, et aussi longs, c’est autre chose. Les avocats sont payés au forfait, auquel s’ajoute une rémunération par demi-journée et par partie civile, dégressive. Et même si celles-ci ne sont pas recevables (comme celles de Gastone), l’avocat perçoit bel et bien l’aide juridictionnelle, sauf décision contraire de la cour, si elle estime que la constitution de partie civile est abusive.

Certains avocats ont ainsi gagné des sommes énormes, en raison du nombre de victimes et de la durée du procès. Pour celui du Bataclan, trois cabinets dépassaient les 100 parties civiles : ceux de Frédéric Bibal, de Jean Reinhart et de Gérard Chemla. Ils ont ainsi pu gagner de 2 à 3 millions d’euros, soit jusqu’à 20 000 euros par jour. À Nice, Me Gemsa aurait gagné quelque 5 millions d’euros, avec 300 parties civiles. Pas étonnant que ce soit la course aux victimes.

[…]


Laure Daussy. Charlie Hebdo. 27/09/2023


(1) Les prénoms ont été changés.


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