En France, à 18 ans…

… vous n’êtes pas majeur socialement !

Une interview de Tom Chevalier, chargé de recherches au CNRS dans le laboratoire Arènes et spécialiste des politiques publiques à l’égard des jeunes en Europe ; interpelle.

Dans une tribune, publiée le 19 septembre dans Le Monde, quatorze présidents d’université appellent à mettre en place une allocation pour tous les étudiants afin de « permettre à notre jeunesse d’étudier dans la dignité ».


  • L’allocation pour tous, une idée au long cours

« C’est un serpent de mer depuis l’après-guerre. Le principe a été proposé par les syndicats étudiants dès les années 1950, puis a refait surface dans les années 1990 et 2000, avec d’in­nombrables rapports et travaux de chercheurs, convenant que notre modèle est dépassé. La logique générale de l’État français n’est pas d’aider les jeunes à devenir indépendants, mais de s’adresser aux parents, avec des allocations fami­liales et des aides fiscales pour ceux dont les enfants majeurs étudient. Les bourses, elles, sont indexées sur les revenus parentaux. Cette politique familialiste équivaut à une infantilisation sociale des jeunes : à 18 ans, en France, vous êtes majeur politiquement, mais pas socialement. Ailleurs, votre statut d’adulte est pleinement reconnu et vous pouvez bénéficier personnellement de la protection sociale, du revenu minimum et des aides aux études ».

  • D’autres modèles existent

« Dans les pays nordiques, les universités sont gratuites et les bourses, généreuses. Le Danemark verse à tous les étudiants environ 800 euros par mois, pendant cinq ans. C’est davantage que l’échelon de bourse le plus élevé pour les étudiants français [633 euros en 2023, ndlr]. Un prêt de l’État complète ces revenus. Au Royaume-Uni, les études sont payantes et les étudiants bénéficient de prêts « à remboursement contingent au revenu futur », c’est-à-dire si un certain seuil de revenu est atteint. »

  • Changer de philosophie, un défi

« Notre système n’enraye pas la précarité et la pauvreté des étudiants. Il est obsolète depuis la massification de l’enseignement supérieur, conçu suivant un modèle élitiste : la majorité des parents, aisés, pouvaient financer les études. Aujourd’hui, plus de la moitié d’une classe d’âge est dans l’enseignement supérieur, dont des jeunes de milieux moins aisés. D’autre part, la jeunesse est devenue un nouvel âge de la vie, bien plus long, avec de nombreux allers-retours entre divers statuts : étudiant ou travailleur, habitant seul ou chez ses parents. Au cours de cette longue période, le financement est incertain. Les réformes qui modifient un seuil ou un montant de bourse, sans changer la philosophie générale du système, sont insuffisantes. Passer par les familles n’est pas le plus efficace pour soutenir les jeunes les plus précaires, de plus, ce modèle augmente leur défiance envers les institutions, car le message, c’est que l’État ne leur fait pas confiance et préfère s’adresser à leurs parents. On ne peut pas s’étonner qu’en retour, ils ne fassent pas confiance à l’État. Mais si l’on veut leur réallouer les fonds directement, il faut sortir de la politique familiale, supprimer les allocations quand l’enfant est majeur, les aides fiscales aux parents d’étudiants, revoir l’âge d’accès au RSA (réservé aux plus de 25 ans), voire réviser les obligations légales des parents envers leurs enfants. Il y aura de nombreux perdants, et les enjeux politiques, financiers, juridiques sont immenses. »


Propos recueillis Juliette Bénabent. Télérama. N°3846 27/09/2023


Une réflexion sur “En France, à 18 ans…

  1. Bernard Dominik 27/09/2023 / 21h50

    Autrefois on travaillait pendant les vacances scolaires pour financer ses études, et, étrangement on ne trouve plus d’étudiants pour les emplois saisonniers et donc, logiquement, les syndicats étudiants demandent une salaire étudiant. C’est le laisser aller le plus complet. Pourquoi ne pas confier au CROUS la collecte des emplois saisonniers et la gestion d’allocations, conditionnées à un job saisonnier?

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