Kretinsky rachete…

Nous sommes le 29 janvier 1996. Jacques Chirac, président de la République, annonce « l’arrêt défmitif des essais nucléaires français ». Les résidents d’Algérie, puis de Polynésie française ne seront plus exposés aux terribles radiations. Une excellente décision, évidemment. Mais qui rend notre pays dépendant d’une technologie très spécifique, les supercalculateurs, seuls capables de simuler les effets des différents instruments de mort atomiques.

Par chance, la France dispose alors d’un champion dans le domaine : le groupe Atos, qui emploie aujourd’hui 110 000 salariés dans le monde, et vend pour 11 milliards d’euros par an de services informatiques. Mais à la suite des nombreux rachats effectués par Thierry Breton, son P-DG de 2009 à 2019, puis des errements de Rodolphe Belmer, son patron parti avec 1 million d’euros après six petits mois à la tête de la boîte, l’entreprise accumule les difficultés. En juin 2022, le cours de l’action Atos en Bourse, qui dépassait les 80 euros en 2018, chute à… 7 suros (1).

Paniqué, le petit monde de la Défense sollicite alors Thales, Orange et Airbus pour sauver le soldat Atos, mais aucun ne répond.

Acculé, Belmer, « formé » chez McKinsey, ancien de Canal+ et aujourd’hui â la tête de TF1, applique alors la méthode marketing première année : quand un truc va mal, le séparer en plusieurs morceaux.

  • D’une part, Tech Foundations, qui se focalisera sur les services informatiques aux entreprises ;
  • D’autre part, Eviden, qui reprendra les supercalculateurs donc, la cybersécurité et l’intelligence artificielle.

Problème : désormais coupé en deux, l’ancien mastodonte ne vaut plus grand-chose, et peut facilement être racheté.

En août dernier, plus de 80 députés et sénateurs Les Républicains dénoncent une « menace pour la souveraineté nucléaire de la France », souhaitant que l’entreprise, héritière du calcul du général de Gaulle à travers la société Bull, soit « maintenue sous le giron français (2».

« Nationalisation » : le mot est même laché par Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe LR à l’Assemblée nationale (3). « Temporaire », cela va de soi, ce n’est pas LFI, ici ! Mais ce n’est pas ce qui est prévu : c’est le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky qui va racheter Tech Foundations, et qui compte également investir dans Eviden, la partie stratégique d’ex-Atos, â hauteur de 7,5 %.

En dépit de la guerre en Ukraine, et des nombreuses références d’Emmanuel Macron â la souveraineté, Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, qui suit le dossier de près, n’a toujours pas bougé.

Légalement, rien n’oblige en effet l’État â intervenir, le seuil pour s’opposer au rachat d’une entreprise française par un étranger étant de 10 % du capital.

Daniel Kretinsky a bâti sa fortune dans le gaz et le charbon, recevant des millions de la part des États pour fermer des centrales â charbon, par ici la monnaie ; avant que la guerre en Ukraine n’impose de les rouvrir, par là le flouze.

Vous filez des thunes à Daniel chaque fois que vous faites vos courses chez Casino, Monoprix, Franprix, Naturalia, la Fnac ou Darty, ou si vous achetez des livres publiés par Bordas, La Découverte, Le Robert, Nathan, Perrin, Plon ou une autre des maisons d’édition appartenant au groupe Editis, qui est également à lui. Et c’est donc cet homme qui va bientôt posséder en partie les capacités de calcul nécessaires au bon fonctionnement de notre dissuasion nucléaire, sauf si les actionnaires d’Atos s’y opposent en novembre prochain.

La souveraineté, il y a ceux qui en parlent, et ceux qui l’achètent.


Gilles Raveaud. Charlie Hebdo. 20/09/2023


  1. « Atos : la chute d’un colosse aux pieds d’argile », par Boris Manenti ( L’Obs, 23 juin 2022).
  2. « Atos : « Cessons de vendre nos fleurons les plus stratégiques â des puissances étrangères » », tribune collective (Figaro Vox, 2 août 2023).
  3. « Olivier Marleix : « La question d’une nationalisation temporaire d’Atos se pose » », propos recueillis par Boris Manenti ( L’Obs, 5 septembre 2023).

Une réflexion sur “Kretinsky rachete…

  1. Bernard Honorat 26/09/2023 / 10h59

    Bernard à écrit :
    Une prévision, c’est Bull qui était dirigé par Breton. Bull, un des premiers fabricants historiques d’ordinateurs, n’a pas su prendre le virage de la 3ᵉ génération d’ordinateurs (l’exécution simultanée de plusieurs programmes). General Electric l’a alors rachetée pour vendre en France ses ordinateurs made in USA (GE50 Ge100 Ge400 Ge600). Le plan calcul a alors créé la CII pour produire de l’ordinateur français, la cata. Au même moment GE à cédé son département informatique et Bull GE est devenue Honeywell Bull (HB). Pompidou voyant l’échec de CII a lancé un rapprochement avec l’allemand Siemens et le néerlandais Philips. L’affaire à permis à Siemens de prendre les marchés publics à la CII, seconde cata. Giscard hérité du dossier et prend la seule bonne solution : éphémère HB à Honeywell qui coup de chance préférait se concentrer sur les armes, et voilà Bull qui grâce à une alliance avec le Japonnais NEC, a pu redonner un sens à l’informatique française, il a le premier investi dans le cmos qui a permis de baisser le prix des ordinateurs. Mais une nouvelle technologie arrive le RISC /Unix plus adaptée aux gros serveurs internet, Bull s’y est mis trop tard et au même moment ses plus gros clients, les banques, décident de passer chez IBM. Donc Bull se retrouve en difficulté et Atos rachète Bull, qui l’entraîne dans sa chute. En fait l’état n’a jamais utiliser les leviers à sa disposition pour ne pas froisser IBM qui a, ou plutôt avait, une très grosse usine à Montpellier.

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