Ça fait froid…

… une info, parmi tant d’autres, dont on peut se fiche et pourtant dénoncer toutes les malveillances de comportement de ce gouvernement, vis-à-vis de travailleurs engagés au nom du service public, nous paraît relever de l’évidence. MC

Isolés dans les terres Australes et Antarctiques françaises, sous-payés et méprisés, les chercheurs de l’Institut polaire français, embauchés en service civique, se lancent dans un bras de fer avec leur direction. Ils demandent la reconnaissance de tout ce qu’ils accomplissent au quotidien et le respect du droit du travail.

Ils sont envoyés dans les terres Australes et Antarctiques françaises pour mener des missions cruciales pour le climat et la biodiversité. Et tout ça pour à peine 1 000 euros par mois. Telle est la situation de scientifiques surdiplômés, travaillant à l’autre bout du monde avec, pour seul statut, un volontariat de service civique.

Isolés – le prochain bateau qui pourrait les rapatrier ne part pas de l’île de La Réunion avant début novembre –, ils ont néanmoins décidé d’entamer un bras de fer avec l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev) depuis que leur « employeur » leur a annoncé que, en raison d’un contrôle Urssaf, ils devaient payer leurs cotisations CSG et CRDS, avec effet rétroactif. Leur indemnité de 1 050 euros est passée d’un coup à 850 euros.

« Déjà que, quand on débarque sur les bases, nous, les services civiques, sommes un peu regardés comme des stagiaires par certains militaires et salariés sur place, ils sont vraiment surpris quand ils apprennent notre niveau de qualification… J’avoue que cette annonce, sans aucune empathie, m’a vraiment fait mal », confie Diane. Ingénieure en informatique, également titulaire d’un master en cybersécurité, la jeune femme de 29 ans a précédemment travaillé trois ans au ministère des Armées avant de rejoindre le Centre national d’études spatiales. Mais, pour l’Ipev, elle est une simple volontaire.

« Au vu du contrant, je m’attendais plutôt à devoir effectuer des taches d’opérateur. Je ne m’imaginais donc pas devoir assumer autant de responsabilités », reconnaît Diane. Jugez plutôt : avec un collègue au même statut, ils sont responsables de toute l’infrastructure informatique de la base de l’île d’Amsterdam. Le site étant le plus éloigné des continents habités, c’est là qu’on mesure la pollution de l’atmosphère et les taux de CO2.

  • « En cas d’accident grave, le bateau met plusieurs jours pour arriver »

Les données doivent être envoyées en temps réel aux laboratoires de métropole, qui contribuent notamment à nourrir les rapports du Giec. Diane est, en plus, responsable avec son binôme de toute la logistique : préparer l’export de tout le fret scientifique de l’Ipev (comme des échantillons conservés à – 80 °C) par bateau, le Marion Dufresne, qui ne passe que quatre fois par an, mais aussi gérer l’approvisionnement en nourriture, eau, énergie des lieux d’observation les plus éloignés et isolés.

Comme si ça ne suffisait pas, on lui a confié deux programmes scientifiques, en géomagnétisme et en sismologie. « Je me bats avec les souris qui rognent les câbles Ethernet et m’assure qu’il n’y a pas d’infiltration d’eau qui détruit les stocks de papier toilette, le matériel scientifique ou de nourriture du site d’observation où va passer trois semaines notre ornithologue – également en service civique – pour vacciner les albatros contre le choléra aviaire », résume Diane.

Virgile, lui aussi en service civique, est ingénieur spécialisé dans l’environnement. Passé par le prestigieux Laboratoire des sciences du climat de Saclay (LSCE), il est en charge avec son binôme de l’observatoire atmosphérique de renommée mondiale de l’île. Avec Diane, il fait partie – bénévolement – de l’équipe médicale, quand d’autres se forment à la lutte contre les incendies.

« C’est facultatif, mais si on ne le fait pas, la base ne tourne pas et cela met tout le monde en danger, explique-t-il. En juin, à la suite d’une chute, un collègue s’est fait une plaie très importante au crâne. On a dû rester six heures au bloc pour aider le médecin. Notre employeur insiste sur le fait qu’on est plus isolés que sur la Station spatiale internationale où, en cas d’accident grave, une capsule permet d’arriver à l’hôpital en quarante-huit heures. Ici, dans le meilleur des cas, le bateau met 5-6 jours juste pour arriver en ligne droite. » « Ce drame nous a fait prendre conscience qu’on avait un statut pas du tout en rapport avec nos responsabilités », renchérit Diane.

Du côté de l’Ipev, le service civique ne pose pas de problème. « Il y a 83 000 volontaires qui font des missions diverses et variées, c’est un engagement pour une cause. Et la nôtre est la science », assure Nathalie Metzler, directrice adjointe de l’institut. Et si ce dispositif est destiné aux 18-25 ans, l’Ipev affirme disposer d’une « dérogation ». « Ils sont volontaires, adultes, et sont partis en mission en toute connaissance de cause, parce que c’est leur rêve. Il y en a qui paieraient pour partir », insiste la directrice adjointe.

  • Des quarts de veille pour s’assurer du bon fonctionnement du chauffage

Les volontaires revendiquent non seulement de la reconnaissance salariale, mais aussi le respect du droit social. Là encore, l’Ipev brandit le statut. « Ils veulent qu’on comptabilise les trajets comme temps de travail. Mais on est dans un cadre d’engagement volontaire, on n’est pas dans le Code du travail, estime Nathalie Metzler. De la même manière, jamais les précédents volontaires ne considéraient les tâches collectives et de survie comme du temps de travail. »

Même quand il faut six heures de marche pour rejoindre la cabane d’ornithologie ? « En plus, les consignes de survie stipulent que chaque sortie pour effectuer une manipulation doit se faire à trois, explique Virgile. Selon eux, ce n’est pas du travail quand on accompagne, même si cela prend plusieurs jours. »

Le temps que les deux volontaires ont passé à aider le médecin et se former en premier secours, tous les jeudis après-midi, ne relève pas non plus du labeur, selon l’institut. Leurs collègues de terre Adélie doivent ajouter à ces charges des quarts de veille pour s’assurer du bon fonctionnement permanent de l’électricité et du chauffage. Il en va de la survie de tous, la température est régulièrement tombée sous les – 30° ces derniers mois.

Un profond sentiment d’injustice s’est ainsi installé chez ces volontaires, nourri du fait que les salariés sur place n’ont pas toutes ces obligations, protégés, eux, par le droit du travail. « Certaines bases accueillent des scientifiques européens, ajoute Virgile. Sur la franco-italienne de Concordia, en Antarctique, mes homologues français en volontariat international en administration touchent 1 900 euros ! Des scientifiques allemands peuvent gagner en 2000 et 3 000 euros par mois »

[…]


Pierric Marissal. Source (Extraits)


Faut-il s’étonner que tant de chercheurs désertent la France… MC


3 réflexions sur “Ça fait froid…

  1. rblaplume 22/09/2023 / 18h36

    Une fois de plus, le bénévolat, le volontariat sont des substituts à des emplois publics ou privés. Les organismes proches de l’Etat devraient montrer l’exemple à suivre en matière de droits sociaux ou/et observer scrupuleusement le Code du Travail.
    Les Associations caritatives devaient philosophiquement avoir vocation à disparaître car leurs initiateurs (H/F) s’inscrivaient dans une démarche d’urgence justifiée et légitime en attendant que les pouvoirs publics prennent le relais ! Hélas, trois fois hélas, ces initiatives bienvenues à la création des ces associations caritatives n’ont fait qu’encourager la puissance publique à ne pas agir voire parfois à cesser ou minimiser tous les programmes envisagés pour remédier à ces situations dramatiques vécues par les populations vulnérables. Il en est de même quand des jeunes deviennent corvéables quitte à bafouer les principes fondateurs de ces structures de formations ou de solidarité.

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