Peu à peu, il fait son trou…
Il est rare qu’une fin de réunion ou de meeting animé par Fabien Roussel ne débouche pas sur cette question rituelle ; « Bon, alors, il n’y a pas de pastis ? ». Il s’approche du buffet, rapide coup d’œil, moue désappointée. Il n’a pas trop à forcer sa nature, le secrétaire national du PCF, il est comme ça. Pastis, caravane, barbecue, une bonne tranche de bidoche, la douceur de l’air un samedi soir au mois de juin, la vie toute bête, sans nœuds au cerveau.

Ses ennemis au sein du Parti, la direction de « L’Humanité », les anciens dirigeants, des députés communistes proches de La France insoumise lui ont trouvé un petit nom, qu’ils dégainent toujours avec un sourire en coin pas très bienveillant et la moue qui va avec : « Franck Dubosc ». Un procès en beauferie, en franchouillardise, en jean-marie-bigardise. Il est où, je vous le demande, le parti de Jean Vilar ?
Il s’en fiche franchement, Roussel.
Son image est son armure, et il le sait. Joli succès, puisque le baromètre Ifop réalisé la semaine dernière lui octroie 44 % de bonnes opinions chez les personnes interrogées. Il est, toutes opinions confondues, l’homme de gauche en activité le plus populaire, le deuxième chez les sympathisants de gauche après Jean-Luc Mélenchon, son vieil ennemi, son pire détracteur.
Un apparatchick type
« Il est perçu comme concret et sincère, drôle aussi. Mais son image n’est pas caricaturale comme l’était celle de Georges Marchais : on aimait Marchais, on le regardait pour le cirque, pour le voir taper sur Jean-Pierre Elkabbach. Il n’y a pas cette dimension chez Roussel », précise Frédéric Dabi, le directeur général de l’Ifop.
Roussel est à la mode, certaines sections enregistrent de nouvelles adhésions, le PC est pour l’heure crédité de 5 à 7 % des voix aux européennes, ce qui ne veut rien dire neuf mois à l’avance, mais c’est si doux d’être populaire, merci Fabien.
L’image d’un Roussel jovial permet certes d’espérer un jour des scores meilleurs aux élections, mais elle gomme surtout des aspects plus rudes du personnage. « Roussel a été le bras droit d’Alain Bocquet, qui fut le grand patron de la fédération communiste du Nord. D’accord, Roussel a été journaliste à l’Huma », mais c’est aussi un apparatchik, un homme qui peut être féroce pour garder le contrôle de l’appareil », rappelle l’ancien patron du PS Jean-Christophe Cambadélis. Un vieux communiste qui le connaît bien rigole : « C’est un coco d’un genre nouveau, le premier stalinien débonnaire. »
Pas si débonnaire que ça. Un solide contentieux l’oppose à Jean-Luc Mélenchon, qui ne sera soldé qu’au départ de l’un des deux, et encore.
En 2021, Roussel devait être tête de liste de toute la gauche lors des élections régionales dans les Hauts-de-France. « C’était décidé, ça devait être lui. Mais, coup de théâtre, Mélenchon a imposé qu’on soutienne la liste écolo, et c’est l’eurodéputée Karima Delli qui s’est retrouvée tête de liste. Un sacré coup de Jarnac », se souvient un député Insoumis.
L’humiliation imaginée par Mélenchon n’avait rien de gratuit : il fallait faire payer à Roussel son envie assumée d’aller à la présidentielle.
Cette bataille, la seule qui compte pour le patron de LFI, c’est celle du boss Méluche, pas des seconds couteaux. Sauf que le second couteau y est allé quand même, et a fait mieux qu’Anne Hidalgo. Depuis, ses ennemis regardent avec gourmandise le patron du PC se débattre.
Chasse, pêche et trahisons
Roussel, obsédé par la reconquête des classes populaires, mène un double combat, contre LFI et contre les écolos. Soutien aux agriculteurs, aux vignerons et aux chasseurs, condamnation de l’abaya au nom de la laïcité, des propos tenus par le rappeur Médine, de « la France des allocs » au nom de « la France du travail », au risque de désarçonner son camp.
Son combat très médiatisé contre Sandrine Rousseau lui a fait gagner des points. Mais gare à l’overdose : après la barbaque et la salade de harengs, les pieds de veau en gelée ?
La Nupes a du plomb dans l’aile, il savoure.
Après les européennes, LFI va connaître un trou d’air, car les élections municipales qui suivront seront mauvaises pour les partisans de Mélenchon.
Anne-Sophie Mercier. Source (Extraits) Le Canard Enchainé. 13/09/2023