Que la vie est cruelle.
Deux millions d’emplois créés, la nation la plus attractive d’Europe pour les investisseurs étrangers, 300 usines ouvertes, 100 000 emplois industriels créés. Le 29 août dernier, Bruno Le Maire, à l’occasion de la fête des patrons (également appelée université d’été du Medef), était tout heureux.
Moins d’une semaine plus tard, le 3 septembre, bim ! étranglés par la hausse des prix des produits frais, l’augmentation du nombre de leurs bénéficiaires et la chute des dons, Les Restos du cœur appellent au secours.
La faillite des Restos, c’est Bruno !
Le 7 septembre, re-bim ! le Secours populaire publie son baromètre de la pauvreté et de la précarite(1) . Plus d’un tiers (38 %) des personnes interrogées déclarent avoir déjà connu la pauvreté, et 8 sur 10 pensent que ce risque sera encore plus élevé pour leurs enfants.
De même, il est très difficile pour 1 personne sur 4 de partir en vacances une fois par an ; 1 personne sur 5 (19 %) n’arrive pas à assurer les dépenses liées aux enfants ; 1 sur 6 (16 %), à se soigner correctement ; et 1 sur 7 (13 %), à se « procurer une alimentation saine [lui] permettant de faire 3 repas par jour ».
Ces données sont-elles contradictoires avec les chiffres de Bruno ? Non. Il est exact qu’un tout petit début de réindustrialisation a lieu en France. Et il est vrai que les emplois industriels paient bien mieux que les services : depuis longtemps, les travailleurs pauvres ne sont plus les ouvriers spécialisés (OS) de l’automobile, mais les femmes de ménage, les auxiliaires de vie, les caissières à mi-temps, etc.
Le hic, c’est que les usines ultra-modernes pleines de robots sont vides d’âmes. Ainsi, 100 000 emplois, dans un pays où 28 millions de personnes travaillent, cela fait une hausse de seulement 0,3 %. Pas de quoi faire bouillir beaucoup de marmites.
Le drame des démocraties contemporaines, c’est le décrochage des revenus du travail, inversement proportionnel à tous les beuglements de politiques en faveur de la « valeur travail ». Comme l’explique Esther Duflo, c’est aux États-Unis que cette évolution est la plus marquée : le pays connaît une forte croissance, mais le revenu médian augmente peu, tandis que le niveau de vie des personnes au revenu minimum s’effondre (2).
Même les difficultés de recrutement des entreprises n’ont que peu accru le pouvoir de négociation des salariés. Ainsi, dans la belle Allemagne aux forts excédents commerciaux, les salaires réels sont inférieurs de 6 % à ce qu’ils étaient fin 2019. En France, la fortune héritée représente 60 % du patrimoine total.
Autrement dit, « la majorité de ce que les Français possèdent est due au hasard de leur naissance, et non à leur mérite individuel (3) ».
Dans tous ces pays, la solution qui préserverait un peu la paix sociale et créerait un début de méritocratie serait de taxer beaucoup plus l’héritage et les hauts patrimoines. Comme l’écrit Joseph Stiglitz, « les inégalités économiques et politiques atteignent aujourd’hui de tels extrêmes que beaucoup de gens rejettent la démocratie (4) ».
Mais plus il y a de pauvres, plus chacun a peur, et donc refuse toute redistribution afin de sauver sa peau et celle de ses gosses. Une attitude rationnelle, logique, puissante, mais qui enracine les privilèges, s’oppose à la méritocratie, et donc porte nécessairement en elle un nouvel affaiblissement de la classe moyenne. Si jamais vous regrettiez de ne pas avoir connu les années 1930, rassurez-vous, elles reviennent pleine balle.
Gilles Raveau. Charlie Hebdo.13/09/2023
- « 17ᵉ baromètre Ipsos/Secours populaire : privations et peur du lendemain » (disponible sur secourspopulaire.fr).
- « Esther Duflo, Prix Nobel d’économie : face à la pauvreté ? » (31 août 2023, disponible sur thinkerview.com).
- « La société du travail disparaît », par Antoine Foucher (Les Échos, 5 septembre 2023).
- « Inégalités et démocratie », par Joseph Stiglitz (Les Échos, 6 septembre 2023).
Taxer l’héritage pourquoi pas, mais il faut revoir les seuils qui n’ont pas bougé depuis bien longtemps et obligent les enfants à vendre la petite maison familiale dont le prix, ici en Provence, dépasse les 700 000€. En France l’héritage n’est pas taxé il est confisqué, les vrais héritages échappent au fisc car ils ne sont pas détenus par des particuliers mais des sociétés installées dans des paradis fiscaux. Notre brave Gilles Raveau a des statistiques exactes mais ses propositions appauvriront un peu plus les classes moyennes pour alimenter le puits dans fond des énarques, çà réduira les inégalités vers le bas, appauvrir tout le monde voilà bien une idée absurde.