Les innombrables « experts » qui sévissent sur BFMTV, CNews et ailleurs ont mille outils pour nous entuber.
Les chiffres, c’est classique. Mais ils peuvent aussi le faire avec les cartes. Vous savez, ce genre de cartes qui montrent une foule de choses — le taux d’agressions, le nombre de militants RN ou la consommation de pinard, bref, tout ce qu’on veut, avec des couleurs différentes ou des nuances de gris…
Leur avantage : même un illettré peut les comprendre d’un coup d’œil. Leur inconvénient : on peut leur faire dire tout et son contraire, sans que les gens en aient conscience. D’où la nécessité de lire l’ouvrage classique Comment faire mentir les cartes, du géographe américain Mark Monmonier, qui vient d’être réédité chez Flammarion.
L’auteur décortique tous les subterfuges pour manipuler l’opinion avec les cartes, en donnant de nombreux exemples, dans le marketing, la pub, la propagande politique ou militaire… De là, il explique implacablement comment « une carte déforme la vérité pour aider l’utilisateur a voir ce qu’il a besoin de voir ».
Première combine, l’agrégation des zones. Selon qu’on effectue des moyennes par quartier, ville ou département, « une base de données peut engendrer des représentations radicalement différentes d’une même région ». Si l’on montre, par exemple, une carte du revenu moyen par habitant, « il suffit de la présence d’un ou deux résidents riches (quelle qu’en soit la cause) pour qu’un petit village ait un revenu moyen proportionnellement élevé ».
Il est aussi possible d’agir sur le choix des données. Pour illustrer la répartition des gens sans boulot, on peut représenter le taux de chômage. Ou, inversement, la progression de l’emploi. On pourrait se dire que cela revient au même. Or pas du tout ! Mark Monmonier donne des cas ou, selon la variable choisie, les zones mises en avant sont différentes.
Encore un moyen de faire mentir les infographies. Prenez ces cartes qui ont plusieurs couleurs ou intensités de teinte (elles sont dites « choropléthes », vous aurez au moins appris un mot), par exemple gris clair, gris, gris foncé. Imaginez que vous vouliez représenter telle ou telle statistique : taux de possession de voiture, présence d’animal de compagnie, espérance de vie…, vous pouvez choisir d’associer ces teintes aux taux d’habitants concernés : moins de 10 %, de 10 à 15 %, plus de 15 %.
Mais vous pouvez associer les mêmes teintes à d’autres seuils : moins de 20 %, de 20 à 30 %, plus de 30 %. Cela peut paraître anodin. Sauf que les cartes peuvent alors être totalement différentes, ce qui, évidemment, peut conduire à des interprétations politiques parfaitement opposées…
De telles manipulations peuvent être effectuées volontairement, pour tromper l’opinion. Mais aussi par incompétence, précise Mark Monmonier, car « la banalisation de l’impression couleur dans la presse a entraîné la prolifération d’artistes commerciaux ignorants de la cartographie ».
Morale de l’histoire : il faut toujours être « à l’affût des confusions et des déformations possibles, engendrées par des concepteurs de cartes ignorants ou mal intentionnés ». Et quand elles sont brandies par de pseudo-experts auréolés de leur caution plus ou moins scientifique, il faut peut-être encore plus se méfier des cartes.
Antonio Fischetti. Charlie Hebdo.13/09/2023
Oui des manipulations classiques. Il y a aussi les échelles dans les histogrammes qui permettent de diminuer ou au contraire accentuer une évolution.