Il est instructif, pour comprendre la vague d’émeutes qui a secoué la France pendant six nuits à la suite du meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier à Nanterre, de faire un détour historique par l’Ancien Régime et par deux phénomènes populaires qui l’ont marqué, la jacquerie et le carnaval.
Ces derniers donnent des clés de lecture qui suggèrent que ces émeutes sont bien françaises : au-delà du vandalisme, elles s’inscrivent dans une longue lignée de protestations des populations subalternes contre les exactions des autorités.
La jacquerie est une révolte paysanne comme en a connu périodiquement l’Occident du XVIe au XVIIe siècle. Elle prend la forme de violences collectives déclenchées par la disette mais aussi et surtout par l’incurie et les abus des tutelles, seigneur, Église, pouvoir royal, qui se manifestent alors par la cherté du blé, la pression fiscale et l’enrôlement de force dans les armées.
Comment ne pas voir le parallèle avec la révolte des jeunes dits « des quartiers » — il faudrait toujours préciser : quartiers populaires paupérisés, ségrégués et stigmatisés.
Révolte contre les institutions officielles qui leur mentent au quotidien en faisant miroiter une promesse républicaine hors d’atteinte pour tant d’entre eux et dont la perte de légitimité est patente. Qu’en est-il de cette promesse ?
Au lieu de la liberté, l’enfermement dans des zones à l’abandon et constamment désignées à l’opprobre public (« les quartiers »). Au lieu de l’égalité, le fracassement contre le mur des inégalités de classe et, comme si ça ne suffisait pas, ethniques, inégalités qui se sont creusées au fil de trois décennies de politiques néolibérales et de recul corrélatif de l’État social.
Au lieu de la fraternité, le harcèlement et l’humiliation au quotidien par des forces de police à qui le pouvoir, dans sa lâcheté, demande de maintenir un couvercle pénal sur un chaudron social.
Et, au sommet de l’État, le mépris ouvert du président Emmanuel Macron pour la sous-France, lui qui est tout entier consumé par son attention admirative aux « premiers de cordée ».
Choose France, susurre-t-il aux patrons des grandes multinationales, mais il en oublie ceux qui, en bas, ont déjà fait ce choix envers et contre tout, et qui se retrouvent pourtant interdits d’accès à la pleine citoyenneté par la combinaison de services publics défaillants, de la précarité salariale et des discriminations au faciès et au patronyme.
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Loïc Wacquant. Le Monde Diplomatique. Source (Courts extraits)