Le Doliprane

Miracle économique et catastrophe écologique

Le Doliprane est un blockbuster pour Sanofi. La multinationale a claironné en juillet que tous les records de production avaient été battus, avec 424 millions de boîtes en 2022, dont 24 millions pour les enfants. L’ascension est fulgurante. En 1995, les ventes étaient de 80 millions de boîtes. Les Français sont des junkies du Doliprane. Entre 2008 et 2018, la consommation des tablettes de 1 000 mg a augmenté de 140 % et celle des tablettes de 500 mg diminué de 20 %.

La présidente de Sanofi France a rappelé cet été que le Doliprane est la marque préférée des Français. Le Doliprane devance La Vache qui rit. II est dans presque tous les foyers. En Bretagne et dans les autres clusters touristiques où le Covid-19 et les gueules de bois refont surface, les patients font la queue devant les pharmacies pour essayer d’obtenir les boites jaune et bleu Même l’EPR est contaminé.

En 2016, un salarié d’Areva a été victime d’une entorse grave à la cheville. Pour tout remède, Areva lui a donné du Doliprane et a omis de déclarer l’accident du travail. Six ans après, la victime a toujours des difficultés à marcher. Après deux renvois, le procès a eu lieu en juillet 2023 à Cherbourg. Le jugement a été mis en délibéré au 12 septembre.

Le parcours du paracétamol, principe actif du Doliprane, est renversant. En 2008, la dernière usine de production dans l’Union européenne a fermé sur la plateforme industrielle de Salaise­Roussillon, dans le couloir de la chimie au sud de Lyon. Depuis, il est fabriqué en Chine et en Inde. Le paracétamol, c’est comme les fringues et les panneaux solaires, le produire en France ça coûte beaucoup plus cher que de le produire aux antipodes et de le faire venir par porte- conteneurs.

En 2020, le président Macron et ses ministres en blouse blanche ont promis de relocaliser la production en France dès 2023. Cette promesse ne sera pas tenue. Elle le sera peut-être en 2026, à la condition que le prix de vente du Doliprane et des autres médicaments à base de paracétamol augmente. La souveraineté sanitaire est comme la souveraineté alimentaire ou la souveraineté du papier-toilette, elle a un prix.

Ce projet de relocalisation est porté par Seqens filiale d’un fonds d’investissement américain, en coopération avec Sanofi et avec une contribution du plan France Relance. Le site choisi est aussi sur la plate forme de Salaise-Roussillon. Seqens y fabrique déjà des substances intermédiaires pour l’industrie chimique et l’industrie pharmaceutique. L’usine devrait produire 10 000 tonnes de paracétamol par an.

Classée Seveso seuil haut, elle est dans un pool de 15 usines Seveso. Pour des raisons techniques, pour la sécurité industrielle et celle des populations, il est impossible d’ouvrir dans la précipitation une nouvelle unité de production, d’autant que Seqens, pour réduire ses coûts d’exploitation, veut aussi construire son propre incinérateur de déchets dangereux. II convient de s’assurer que la fabrication de paracétamol en France sera moins polluante qu’en Asie.

En attendant, le paracétamol arrive par conteneurs dans le port du Havre, puis, à Lisieux, dans le Calvados, on le revêt de deux amidons et d’un bactéricide fongicide, et ainsi, il devient le Doliprane dans l’usine phare de Sanofi. Lisieux est aussi la basilique du Doliprane. Le Doliprane est considéré comme un pilier de l’économie de la Basse-Normandie, au même titre que le nucléaire.

C’est souvent dans les vieux pots que sont faits les meilleurs profits, et Sanofi, qui se présente comme un leader de l’innovation, mise toujours sur une substance découverte il y a cent cinquante ans par des chimistes américains et allemands. Dans l’attente d’une alternative, les résidus de paracétamol excrétés par les consommateurs et rejetés par les stations d’épuration polluent les rivières, les fleuves et les océans dans le monde entier, et, en synergie avec d’autres résidus médicamenteux, nuisent au développement des mollusques, des larves et des poissons.


Jacky Bonnemains. Charlie Hebdo 30/08/2023


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