Les tensions avec le Kremlin couvaient depuis des mois, mais la rébellion du groupe Wagner a tout de même surpris. D’ordinaire, les mercenaires obéissent à leur donneur d’ordre, dont ils accomplissent les basses besognes. L’Afrique en sait quelque chose, qui a vu passer nombre de ces « affreux », comme on surnommait jadis les combattants des milices privées.
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Après la prise de Bakhmout par Wagner, en mai 2023, le Kremlin organisait une reprise en main de cette structure, devenue une armée dans l’armée : le 10 juin 2023, une ordonnance du ministère de la défense enjoint aux volontaires des bataillons privés de signer des contrats individuels avec les forces régulières. Les mercenaires passeraient ainsi sous l’autorité du chef d’état-major des armées Valeri Guerassimov et du ministre de la défense Sergueï Choïgou. Ceux-là mêmes que le patron de la milice ne cesse d’invectiver depuis des mois, sur les champs de bataille comme depuis les cimetières où reposent des milliers de ses recrues, leur reprochant de ne pas avoir conduit efficacement l’« opération militaire spéciale » en Ukraine.
La perspective d’une intégration forcée au sein de l’armée constitue l’élément déclencheur de la rébellion. La confrontation a d’abord paru inévitable. Mais, pour « éviter le bain de sang », le Kremlin a négocié, avec le concours du président biélorusse, M. Alexandre Loukachenko, un accord avec M. Prigojine.
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Officiellement illégales, les sociétés militaires ou armées privées sont pourtant près d’une trentaine en Russie, dont certaines engagées en Ukraine au côté des forces régulières : outre Wagner, de loin la plus importante en effectifs et en ambitions, y compris commerciales, le bataillon Akhmad du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, le bataillon Sparta, le Corps slave, l’Unité cosaque, la Croix de Saint-André (proche du patriarche orthodoxe Kirill), Convoy, Enot, Redut, ou encore Patriot, créée par le ministre de la défense Choïgou avec d’anciens éléments des forces spéciales. Gazprom, le géant du gaz et du pétrole, a obtenu sans peine l’autorisation de fonder ses propres milices, Fakel (« torche ») et Plamya (« flamme »), pour la protection de ses actifs en Syrie et en Ukraine.
Le gouvernement russe est conscient depuis le début des années 2010 de l’intérêt de ces groupes de combattants plus flexibles que des forces régulières. Ils permettent au Kremlin de se décharger des basses œuvres et de se dédouaner en cas de bavure ou de contestation, en pratiquant, comme d’autres avant lui, le « déni plausible » : quoi de plus pratique en effet que des combattants sans drapeau, sans uniforme, sans statut, voire sans identité ni sépulture, à l’exemple des fameux « hommes verts » entrés en Crimée en février 2014, qu’on retrouvera un peu plus tard dans la région séparatiste de Donetsk, en Syrie, puis dans plusieurs pays africains. Longtemps, le Kremlin niera tout lien avec les autorités russes.
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Le Kremlin ne désespère pas de récupérer l’essentiel des actifs de Wagner dans le monde, notamment en Afrique. Au Soudan, où la Russie est présente depuis 2016 avec quelques centaines d’instructeurs et des livraisons d’armes, dans l’espoir d’obtenir l’ouverture d’une base militaire à Port-Soudan, sur la mer Rouge, Wagner se rémunère notamment par une large implication dans le commerce de l’or. En Libye, la société privée a appuyé en 2020 la tentative du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de Benghazi, de prendre le contrôle de Tripoli. Ses combattants (800 à 1 200 hommes) — qui devaient être théoriquement rapatriés, à la suite d’un cessez-le-feu — semblent toujours déployés autour des champs pétroliers et dans des bases aériennes de Cyrénaïque ou du Fezzan, qui servent aussi de « hub » pour les initiatives du Kremlin en Syrie et sur le continent noir (4).
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Philippe Leymarie. Le Monde Diplomatique. Source (Extraits)
- France Inter, 24 juin 2023.
- Paul Sonne, « Putin and Prigozhin held a meeting in June, their first known contact since the mutiny », 10 juillet 2023.
- Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
- Lire Jean Michel Morel, « Libye, le terrain de jeu russo-turc », Le Monde diplomatique, septembre 2020.
- Le président américain Donald Trump a gracié en décembre 2020 quatre agents de Blackwater condamnés en 2015 pour avoir tiré sur les civils, provoquant l’indignation en Irak.
Notre petit Macrounet semble bien perdu dans la complexité de ces prises d’intérêt. Il s’est trompé en Libye, au Mali, au Niger, fait du suivisme en Ukraine. Wagner est un outil bien dangereux et favoriser les milices ne peut que créer les conditions d’un coup d’état, Poutine ne semble pas avoir compris la leçon ou compte trop sur son habileté à maintenir l’équilibre entre toutes. Nous sommes entrés dans une période de turbulences et c’est bien inquiétant avec un président inexpérimenté et incapable de diplomatie.
Un commentaire que je prends à 100 %/100 %, sans pour autant se réjouir de la tournure et mentalité de ces conflits à répétitions que nous vivons contre le gré des habitants. Eux qui n’ont rien demandé.
Cordialement
Michel
Avons nous étés les pires des colonisateurs ?! je pose en toute naïveté cette question !
Pire peut-être pas, mais colonisateur OUI et le somme encore… Inutile de nier.
Donc quittons l’ Afrique et laissons là aux mains des Chinois et des Russes sur terre et sur mer ?!