Une Vᵉ République à bout de souffle !

Éliane Assassi, affirme que la réforme des retraites et son passage en force a achevée de lettre le Vᵉ Constitution de notre pays, à genoux.

  • La revue : Peut-on considérer qu’Emmanuel Macron a fait preuve d’autoritarisme en passant en force cette réforme des retraites ?

Sans hésitation, oui. L’entêtement du président de la République et du gouvernement pour faire adopter cette réforme a tourné à l’autoritarisme. Sans véritables négociations avec les organisations syndicales, sans justification financière, ils se sont enfermés dans des postures autoritaires pour imposer la destruction programmée de notre système de répartition et sont restés sourds à la colère qui grandissait dans le pays, à cette exigence de retrait portée par 90% des actifs et une unité syndicale historique.

Ils se sont obstinés en faisant le choix d’inscrire au parlement cette réforme dans un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité Sociale (article 47-1 de la Constitution) et en utilisant des procédures certes réglementaires et constitutionnelles mais au mépris de la démocratie, de la représentation nationale et de ce qui s’exprimait fortement dans le pays : le refus de se faire voler deux ans de sa vie.

Dès l’annonce du projet de loi l’appel au référendum fut lancé ; le chef de l’État a écarté cet acte démocratique suivi par le Conseil constitutionnel qui a rejeté les recours déposés par les groupes de gauche de l’Assemblée et du Sénat et qui ensuite, et à deux reprises, a refusé nos propositions de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP).

  • La brutalité de la répression du mouvement social, la non-écoute des forces syndicales, le rejet du parlement, les accusations portées envers des associations comme la ligue des droits de l’homme (LDH), doivent-elles nous alerter sur l’état de notre système démocratique ?

C’est une évidence ! La crise que notre pays traverse est sociale, économique, mais elle est aussi démocratique. J’ai évoqué la masse de procédures que le gouvernement a dégainées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat non pas pour faire adopter sa réforme, mais pour soumettre le parlement et particulièrement l’opposition de gauche.

Cette situation, ces attaques contre le monde politique, associatif, syndical sont les signes d’une fébrilité politique et d’une arrogance, conduisant ceux qui nous gouvernement à des caricatures et à des attaques frontales contre toutes celles et ceux qui osent s’opposer à leurs choix politiques, ou qui – comme la LDH – exigent que les droits et libertés soient respectés dans notre pays. Cette dérive est extrêmement dangereuse pour notre système démocratique.

  • Les critiques portées contre le parlement ont été nombreuses (notamment celles qui fustigeaient le déroulement des débats à l’Assemblée nationale). Doit-on penser que le parlement ressort affaibli de cette séquence politique ?

Quoi de plus normal que le parlement… parlemente et qu’il utilise ses droits et les règlements propres à chaque assemblée pour exprimer ses choix, ses propositions, des oppositions… Cette réforme qui, rappelons-le, n’a pas été soumise au vote des députés puisque le gouvernement avec l’assentiment du président de la République a fait le choix de dégainer le 49-3. Aujourd’hui cette réforme n’a pas de légitimité.

Le macronisme est surtout anti-démocratique. Le débat dérange le président de la République qui ne cesse d’affirmer que sa légitimité est issue des votes du premier tour de la présidentielle. Or chacun sait qu’il a été élu au second tour pour faire barrage à Marine Le Pen et certainement pas pour appliquer, entre autres, le recul de l’âge de départ à la retraite.

  • N’est-ce pas le signe que la Vᵉ République arrive à bout de souffle alors qu’elle met entre les mains du pouvoir exécutif d’immenses pouvoirs ?

Quand un gouvernement n’a pas d’autres choix que de recourir à ces procédures, fussent-elles constitutionnelles, c’est qu’il est en échec. Certes, les pères de la Constitution ont tout prévu au cas où l’exécutif ne serait pas majoritaire au parlement. Mais la Constitution aura bientôt soixante-cinq ans ; notre société a changé, le monde a changé.

Il serait temps de la réformer et de tracer les perspectives d’une République sociale, démocratique, laïque, écologique, féministe et internationaliste, porteuse d’exigences de progrès telles celles de redonner de nouveaux droits et de nouveaux pouvoirs aux citoyennes et aux citoyennes et aux salariés au sein des entreprises ; d’abroger des articles tels le 40 et le 49-3 qui permettent au gouvernement de s’affranchir des délibérations des assemblées ; de supprimer l’élection du président de la République au suffrage universel, d’instaurer la proportionnelle intégrale pour une juste représentation des forces politiques en fonction de leur réelle influence électorale.


Propos recueillis par Nicolas Tardits. Revue : Cause commune n° 34 • mai/juin 2023


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