J’ai fait un rêve…

… un rêve à la dérive, hélas !

En haut des marches du Lincoln Mémorial, l’édifice de Washington qui abrite la majestueuse statue du seizième président américain, les touristes s’accroupissent pour photographier une inscription au sol. Que dit-elle ? « Je fais un rêve. Martin Luther King Jr. Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. 28 août 1963. » À cet emplacement, le pasteur a prononcé devant des dizaines de milliers de personnes son célèbre « I have a dream », dans lequel il imagine une Amérique débarrassée du racisme.

Son discours, en grande partie improvisé, n’avait duré que dix-sept minutes, mais il est considéré comme l’un des plus importants de l’histoire des États-Unis. « Il touche à ce qui fait la grandeur de l’Amérique, loin du « Make America Great Again » de Donald Trump », estime Stephon Ferguson.

Soixante ans après, les signes de régression se multiplient. Après la victoire de Joe Biden en 2020, plusieurs États républicains ont imposé des restrictions à l’exercice du droit de vote, avec l’objectif non déclaré de limiter la participation de l’électorat afro-américain, largement démocrate — en Géorgie, État natal de MLK, des bureaux de vote ont été supprimés dans les quartiers noirs des grandes villes… Ailleurs ce sont des livres sur le racisme et l’esclavage qui sont bannis des écoles, à la demande de parents ou de responsables politiques les jugeant « inappropriés » ou « woke ».

En juillet, le gouverneur de. Floride, Ron DeSantis, un « mini-Trump » ultra-conservateur qui brigue l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2024, est allé jusqu’à défendre un nouveau programme de collège qui met en valeur les bienfaits personnels que les esclaves auraient tirés de leur asservissement.

Quant à la Cour suprême, plus haute juridiction du pays dominée par des juges conservateurs, elle a récemment mis fin à la politique de « discrimination positive » qui permettait aux universités de prendre en compte l’identité raciale dans le processus de sélection de leurs futurs étudiants.

Aussi surprenant que cela puisse paraître de ce côté-ci de l’Atlantique, ils reprennent même désormais à leur compte la mythique allocution pour en faire l’instrument de leur propre vision politique : une société où chacun peut réussir à la force du travail et du mérite. Ils citent notamment ce passage où le pasteur rêve de voir ses petits-enfants vivre dans une « nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère »…

Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, s’est ainsi servi des mots de Luther King pour dénoncer «la théorie critique de la race », une école de pensée qui considère que le racisme imprègne les lois et les institutions américaines.

La palme de la mauvaise foi revient très certainement à Ron DeSantis, encore lui, qui a invoqué MLK en présentant, fin 2021, un projet de loi qui interdisait toute discussion sur le racisme institutionnel dans les écoles et le milieu de l’entreprise…

« Pour nous, le racisme est une anomalie. Nous n’avons pas peur de le dénoncer quand il se manifeste, assure Char­lotte, étudiante blanche de 21 ans. Et c’est comme cela que la situation s’améliorera. »


D’après Alexis Buisson – Télérama.N°3841 – 23/08/2023


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