… les salariés seront « contents » de prendre connaissance des variants financiers du CAC 40. (humour très noir).
On dit merci qui ?
Le CAC 40 est en pleine forme : avec plus de 80 milliards d’euros de profit au premier semestre 2023, il est bien parti pour battre son record de 2021, établi à 156 milliards. Mais attention ! Ces beaux bénéfices ne sont pas français de souche : ils proviennent majoritairement de l’étranger, où les groupes hexagonaux les plus importants réalisent les quatre cinquièmes de leur chiffre d’affaires. Revers de la médaille pour le fisc bien de chez nous : ces grands groupes paient souvent plus d’impôts à l’étranger qu’en France, et ils y envoient plus de 40 % des dividendes qu’ils distribuent à leurs actionnaires.
Profits nippons
Une étude du cabinet d’audit britannique Ernst & Young (E&Y), publiée le 22 juin et passée inaperçue, indique que les boîtes du CAC ont effectué, en 2022, 82 % de leur chiffre d’affaires en dehors de la France.
Une tendance qui, au fil des années, ne fait que s’affirmer en 2012, ce taux atteignait 72 % – 10 points de moins qu’aujourd’hui -, selon l’étude produite cette année-là par E&Y. À quelle hauteur ces activités à l’étranger participent-elles aux bénéfices des entreprises du CAC ? Mystère ! Les boîtes interrogées par « Le Canard » gardent le chiffre confidentiel, et aucune donnée relative à ce sujet ne figure dans leurs rapports financiers annuels.
À tout seigneur, tout honneur : c’est LVMH, première capitalisation de la Bourse de Paris, qui profite le plus de cette manne étrangère. Le groupe de Bernard Arnault — au coude-à-coude avec Elon Musk pour le titre d’homme le plus riche du monde — n’a assuré, en 2022, que 8 % de ses ventes en France, pour un montant de 6 milliards d’euros. Mais l’affaire doit être bonne, puisque les 73 milliards de chiffres d’affaires réalisés à l’étranger ont induit — à en croire Bernard Arnault lui-même — moins de 3 milliards d’impôts, à peine plus que ce qu’a perçu le fisc français pour un chiffre d’affaires français 12 fois inférieur.
Total pompé
Autre cas d’école, le groupe TotalEnergies, dont les comptes s’avèrent plus baroques encore 80 % de son chiffre d’affaires a été effectué hors de l’Hexagone. Un bonheur n’arrivant jamais seul, ces activités étrangères sont hautement rentables : le groupe en a tiré 19 milliards de bénéfice après impôt… contre 500 pauvres millions pour son activité française. Mais les fiscs étrangers sont parfois plus voraces que le nôtre. Entre droits d’exploitation, impôt sur les sociétés et taxes diverses prélevées localement, Total a inscrit dans ses comptes une charge fiscale de 32 milliards d’euros. « Avec 51,4 % de nos bénéfices qui partent au fisc, nous sommes la société la plus imposée de France », assure une communicante du groupe. À vot’ bon cœur, messieurs dames, vous reprendrez bien une goutte de sans-plomb ?
Autre secteur profitant de ses activités à l’étranger : la bonne vieille métallurgie, Renault en tête. L’ancienne Régie, qui a vendu 2 millions de voitures dans le monde l’année dernière, tire environ les trois quarts du chiffre d’affaires de son activité à l’étranger. À quoi s’ajoutent les 526 millions de dividendes versés, en 2022, par Nissan, sa filiale japonaise à 43 %. Les experts estiment que, sur les 1,6 milliard d’euros de bénéfice net de Renault en 2022 (hors pertes en Russie), moins de 300 millions proviennent de son activité dans l’Hexagone.
Revers de la médaille : s’ils dopent l’activité des groupes français, les étrangers exigent leur dû en impôts ou en dividendes — c’est humain. D’après la Banque de France, ils possèdent de moins en moins d’actions — près de 48 % en 2011, contre 40,5 % aujourd’hui —, mais le tiers des entreprises du CAC reste majoritairement détenu par des actionnaires étrangers, qui ont empoché quelque 27,5 milliards de dividendes en 2022, soit un peu moins de la moitié de ce que touchent les actionnaires français. Le capitalisme bien de chez nous est surtout bien ailleurs.
Loin des yeux, loin du cœur ?
Hervé Martin. Le Canard Enchainé. 16/08/2023