Cela fait certes des années que la grande presse est passée sous la coupe des puissances industrielles et financières, avec son lot de normalisations de son modèle économique et de ses grandes lignes éditoriales, avec ses batteries de pressions et de soutien aux forces de l’argent contre les combats des travailleurs et, souvent, des créateurs, cela de connivence aussi avec des responsables politique chargé de faire perdurer les puissances financières.
- Cette fois, nous assistons à un tournant politique – inconnu depuis la Libération et les ordonnances sur la liberté de la presse de 1944.
Vincent Bolloré ne s’empare pas du Journal du Dimanche et de Paris Match avec le souci de maintenir des journaux en vie, ou pour faire vivre le pluralisme, mais pour les transformer en armes de destruction massive de la République française, placées au service exclusif de la droite extrême et de l’extrême droite. Il le fait dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, après avoir mis les chaînes de télévision C8 et Cnews au service de la campagne du sinistre M. Zemmour venu du Figaro.
Sans doute, faudra-t-il lire désormais sans équivoque les trois lettres « JDD » pour « Journal D’extrême Droite ». Le nouveau directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune est un proche de Marion Maréchal – Le Pen et a été un soutien de la première heure d’É. Zemmour dont il avait d’ailleurs imaginé l’élection dès 2015 dans un livre titré, Une Élection ordinaire.
Le fait que G. Lejeune ait été révoqué du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles parce que les propriétaires de ce magazine le considéraient comme étant « trop d’extrême droite » dit tout de l’orientation éditoriale qui noircira désormais les pages du journal fondé en 1946 par Pierre Lazareff, ancien résistant, lequel doit certainement aujourd’hui se retourner dans sa tombe.
Les mercenaires de V Bolloré et le nouveau directeur de la rédaction ont donné un aperçu de leurs intentions éditoriales lorsqu’ils ont rejeté, il y a une semaine, la proposition d’une charte déontologique prohibant « la publication de tout propos raciste, sexiste ou xénophobe » – autrement dit, ils ont refusé de retranscrire dans un règlement intérieur ce qui est stipulé dans le droit et dans nos lois.
La méthode Bolloré s’apparente à celle d’un rapace : d’abord, en véritable ogre donc, il avale ce qui reste du groupe Lagardère et laisse croire que c’est Arnaud Lagardère qui fait le ménage au JDD, comme à Paris Match et Europe 1 alors que celui-ci n’est devenu qu’un pantin dans la guerre intra-capitaliste qui le consume. Ensuite, les équipes en place des médias et journaux rachetés sont sommées de se soumettre ou de se démettre. La négociation n’est pas un mot très prisé chez les puissants d’autant que le pouvoir et de nombreuses forces ont tranquillement laissé faire.
Les républicains et les progressistes sous-estiment gravement la nature de la croisade idéologique et culturelle à l’œuvre, la nature des néo-conservateurs et de l’extrême droite qui ont réussi à accréditer l’idée qu’il existerait une domination idéologique de la gauche dans les médias qu’il s’agit d’abattre. Cette farce a encore réuni ces derniers jours le LR d’Éric Ciotti et les extrêmes droites d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen qui ont attaqué la rédaction sortante du Journal du Dimanche et bruyamment soutenu le patron Bolloré.
Comme ils en ont l’habitude, ils ont agité le chiffon, défraîchi, du pluralisme pour un projet qui vise précisément à l’étouffer. Au moment même où se déroule cette opération, le milliardaire Rodolphe Saadé, qui fait fortune dans le transport maritime, rachète le titre La Provence et le richissime Tchèque Daniel Kretenski s’octroie des parts substantielles dans les comités directeurs de plusieurs grandes entreprises nationales en même temps qu’il se retrouve au capital de plusieurs journaux. Redisons-le, les puissances financièrers, grands industriels en générale, n’achètent pas des médias pour l’amour de l’art ou du risque, ni pour le bien de l’humanité.
- Dans ce contexte, on mesure la profondeur de la lâcheté de tous les défenseurs professionnels de la liberté de la presse, la pleutrerie macronienne, celle du gouvernement et de quelques autres qui n’ont rien trouvé à redire du refus de négocier la charte déontologique citée ci-dessus ni de la décapitation d’une rédaction qui, pourtant, les a souvent servis avec zèle.
Quand le seul ministre du gouvernement, M. Pap Ndiaye, a dit la vérité sur la nature du projet politique des relais de V Bolloré, il a été fusillé du silence de ses pairs, avant d’être débarqué, précisément comme trophée offert à l’extrême droite.
Ce que confirme d’ailleurs le nouveau JDD paru dimanche dernier dans lequel le prétendu philosophe Luc Ferry traite l’ancien ministre de l’Éducation nationale « d’intellectuel fanatiquement hostile à notre universalisme républicain ». Rien que ça !
Le refus d’inscrire, dans la charte déontologique de ce que l’on continue de nommer le groupe Lagardère News, l’interdiction de quelque contenu « xénophobe, homophobe, antisémite ou sexiste » que ce soit est bien une violation flagrante de la Constitution qui proclame dans son article premier : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »
La mutation historique en cours signe la fin d’une période où, après avoir organisé l’agonie des ordonnances de 1944 sur la liberté de la presse, voici que les connivences politiques avec les milieux d’affaires leur donnent le coup de grâce.
Rappelons que le programme des Jours heureux du Conseil national de la résistance (CNR), adopté en 1944, proclamait « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères, la liberté d’association, de réunion et de manifestation ».
- Ces ordonnances visaient à mettre fin à la concentration de la presse, à mutualiser la distribution et l’impression, et à en finir avec la presse collaborationniste.
Aujourd’hui, c’est le grand bond en arrière, les corbeaux noirs qui tentent de renaître de leurs cendres, si j’ose dire, avec la nomination au JDD d’un directeur de la rédaction qui, au même poste, à Valeurs actuelles faisait ses petites couvertures racoleuses à coups de pseudo « invasion musulmane », d’hypothétique « ensauvagement des banlieues » ou encore de mythes éculés de « barbares venus de l’étranger ». Art consumé qu’il a d’ailleurs appliqué au-delà de l’ignoble dès sa première édition du 6 août. Voilà qui est celui qui s’est empressé de s’entourer de gratte-papiers issus de National hebdo, périodique du Front national, et de Minute, feuille de chou rance, prétendûment journal qui donne « à la fois la nausée et les mains sales », selon l’exacte définition de feu Pierre Desproges.
Les idées qui ont mené au soutien à Pétain et à la collaboration avec le nazisme ont pignon sur rue lorsqu’on allume les écrans de certaines télévisions et contrôlent maintenant le seul hebdomadaire dominical national. Mais un autre élément doit encore nous préoccuper !
- Cette évolution du dispositif médiatique n’est pas sans conséquence sur les contenus et les méthodes des autres médias, et crée un bain idéologique et culturel dans lequel le pluralisme se rétrécit à vue d’œil.
La droite extrême la plus antisociale et anti-environnementale, l’extrême droite la plus « décomplexée » et leurs médias ont réussi à imposer dans le débat public des « mots twistés » pour en faire des « marqueurs », fabriquant tout un imaginaire de pensée : « autorité », « ordre Républicain », « bataille civilisationnelle », « islamo-gauchistes », « immigration du fait accompli », « grogne sociale », « ultragauche », « éco-terrorisme », « la réalité économique qui impose la rigueur », les pauvres qui seraient « des profiteurs de l’action sociale », « les sans-emploi qui ne veulent pas travailler »… Et que dire de la manière dont sont tordus des mots comme, « laïcité », « égalité » ou même « fraternité ».
La lettre du 10/08/2023 de Patrick Le Hyaric. Source (Extraits)
Ne confondons pas nationalisme et xénophobie. Mais l’introduction des milliardaires dans les médias est fortement inquiétante, car effectivement ce n’est pas pour défendre la diversité. De plus Bolloré catho extrémiste qui croie aux miracles et autres fariboles est capable de demander le retour de l’inquisition. Quant à Saadé il n’est pas pire que Tapie, et pour l’instant la Provence est restée un journal provincial typique.