Répressif épouvantail…

… et gendarmerie d’une bourgade du Lot !

Le postier de ce petit village du Lot, Jean-Yves anarchiste punk, arbore de larges lunettes de soleil, de la ferraille autour du cou, une crête jaune hirsute, porte un jean troué et un grand tee-shirt noir avec une inscription « ACAB », pour « All cops are bastards » (littéralement « Tous les flics sont des bâtards »), qui, plus qu’elle ne dénonce chacun des policiers, dénonce le système policier.

Jean-Yves participait au concours d’épouvantail de la commune, mais son effigie est tellement anarchiste, qu’il s’est attiré les foudres de la gendarmerie de son village, Lalbenque, dans le Lot. 

Samedi 5 août 2023, deux gendarmes en uniforme sont venus exiger sa disparition de l’espace public :


Jean-Yves est un épouvantail, fait d’un vieux jean recyclé, d’une marmite en émail usée et directement issue de l’imagination d’un petit garçon de 10 ans. Il a été présenté aux habitant·es de Lalbenque lors d’un concours d’épouvantails dans le cadre du festival culturel occitan, Estiv’oc.

Le dernier jour du festival, sur le marché de Lalbenque où Jean-Yves concourait pour la place du meilleur épouvantail du village, ce sont des gendarmes bien réels qui sont venus, sur demande de leur hiérarchie, réprimer un manche à balai.

Le jeune créateur de Jean-Yves, que nous appellerons le « père de Jean-Yves » est un petit lalbenquois de 10 ans et demi.

Au début, le jeune garçon trouve avec sa mère un vieux jean troué. L’occasion faisant le larron, l’enfant décide de faire un « punk ». Le garçon prend un tee-shirt noir et a pour ambition d’y dessiner le logo de Nirvana. Il craint de ne pas y arriver et décide d’y apposer plutôt un « ACAB » comme ceux que l’on voit dans la série de BD Les Vieux Fourneaux

[…]

Quand Jean-Yves est installé dans les allées du marché, des passants pensent qu’« ACAB » est son prénom et votent gaiement pour l’épouvantail « ACAB ». D’autres, plus au courant, sont bien contents de voir l’inscription barrer le tee-shirt de l’épouvantail. 

Entre les courgettes, les tomates et les savons, les passant-e-s s’arrêtent, sourient, lâchent parfois un petit commentaire sur les épouvantails et continuent leurs courses.

L’un d’eux, visiblement courroucé, s’arrête au stand du festival et se présente comme policier en civil.

[…]

Quelques heures plus tard, effectivement, deux gendarmes de Lalbenque arrivent. « Comme des cow-boys », se souvient Emma Conquet, journaliste originaire de Lalbenque et bénévole du festival.

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« Ils sont arrivés de manière très hostile, rapporte Emma. Ils nous assurent que des gens sur le marché ont été choqués. Je ne suis pas sûre du pluriel… » La scène devient rocambolesque : les gendarmes somment la bénévole de lire à haute voix ce qu’il y a écrit sur le tee-shirt de Jean-Yves, désormais au centre de toutes les attentions. Ils lui demandent si elle sait ce que ça veut dire puis s’agacent, le ton monte. « Ils disent que c’est très grave, un appel à la haine, ils m’ont dit qu’il y aurait sûrement des suites à “ça” et qu’ils attendaient la décision de leur hiérarchie… » 

Et Emma de remettre les choses à plat : « Je leur ai rappelé qu’ils parlaient d’un épouvantail, une caricature créée par un petit garçon, en référence à une BD. Je suis montée en pression parce que, vu le contexte, les violences policières qui se sont décuplées depuis la mort de Nahel… De constater que, même dans notre village de 1 800 habitants au fin fond du Lot, on pouvait palper cette autorité-là, cette volonté de censure, c’était extrêmement énervant. On était tous très choqués. »

Pour calmer les choses, Liliane Lugol, inspectrice d’académie à la retraite et maire de la commune, prend en aparté les deux gendarmes. « Je leur dis que ce n’est pas très grave, que je connais bien les parents du gamin, je leur explique que c’est une référence à une bande dessinée,rapporte-t-elle auprès de Médiapart. Les gendarmes m’expliquent que c’est le major qui les a envoyés après qu’une personne, en civil, l’ait alerté. Je leur ai dit que j’appellerai moi-même le major et ils sont repartis… Je n’ai jamais passé ce coup de téléphone finalement. C’était un samedi, je ne voulais pas l’embêter pendant le week-end, puis le lundi, tout ça était retombé. » Et de s’estimer heureuse que la petite brigade ait été dépêchée tard dans la matinée, à l’heure où le concours d’épouvantails était déjà clos « parce que, sinon, ils auraient exigé qu’on retire l’épouvantail et là j’aurais été plus embêtée ».

Un rappel qu’on vit dans un État autoritaire et qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans nos petites campagnes.

[…]


Article signé des initiales K. Z. Médiapart. Source (Extraits)


Entre extrême laxisme et répression, il y a place à une voie civile. MC


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