Le temps de la Françafrique, c’est terminé.
Emmanuel Macron l’a redit aux militaires français. Il l’avait déjà lancé à Libreville en mars, à l’occasion d’une visite destinée à ouvrir « une nouvelle ère dans les relations entre la France et le continent ». On voit le résultat.
Depuis le temps qu’on nous le chante, l’air de la « nouvelle ère »…
Le temps de la Françafrique est fini depuis une éternité, Macron n’est pas le premier à le rappeler, mais, comme dans les romans de Proust, son souvenir est si vivace qu’il est toujours présent. Jacques Foccart, qui régnait en maître sur la Françafrique pendant les années gaullistes, aurait pu annoncer sa mort après la victoire de François Mitterrand en 1981. Il ne l’a pas fait, car rien n’aurait été plus faux : les deux hommes partageaient l’idée très répandue que l’Afrique donnait une dimension plus grande à la France dans le monde. L’idée est toujours bien en place.
La Françafrique est un zombie. Morte, elle se perpétue, elle se renouvelle, elle se transmet. Un dictateur meurt au Tchad, le président de la République française se précipite pour adouber son fils comme successeur. Le Burkina Faso soutient les putschistes du Niger, la France coupe son aide au développement. La Françafrique, personne ne l’assume plus, mais elle est toujours là, et bien souvent avec l’accord des dirigeants africains.
Comme le franc CFA, qui circule dans 14 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale depuis 1945. La Françafrique est dans la tête des dirigeants français d’hier et d’aujourd’hui, et surtout dans celle des jeunes Africains, auxquels l’Europe bat froid et qui doutent de la démocratie. Il ne suffit pas de répéter que la colonisation est derrière nous pour que ses stigmates disparaissent.
En raison de son passé et de son présent, la France, aujourd’hui, est la cible facile de tous les mécontents d’Afrique. Le bouc émissaire des militaires putschistes autoritaires au Niger, au Mali, au Burkina.
Des Russes, qui lui disputent son influence. De la Chine, qui a pris la main sur une partie de l’économie. La France s’était portée volontaire dans le combat contre les djihadistes sous l’ère Hollande, à la demande des gouvernements locaux et sous les applaudissements des populations. Cette ère est terminée.
Les troupes françaises ont quitté le Mali et le Burkina, et sont invitées à faire de même au Niger. Les djihadistes sont aux anges, qui ont tout à gagner au sentiment antifrançais. Wagner se réjouit d’avoir triomphé dans sa guerre de communication. C’est la Walkyrie et Macron qui pleure.
Des poses viriles en Jet-Ski électrique devant le fort de Brégançon, chaque été, ne font pas de lui un chef de guerre. Aujourd’hui, la France est sommée de quitter le Sahel la queue entre les jambes.
Baisser pavillon, avec la crainte d’un effet domino dans le reste de l’Afrique, ce n’est pas pour faciliter la tâche de Macron, même s’il est l’otage du passé. Ses alliés de la Cedeao sont peu pressés de mourir pour Niamey et le président Bazoum.
Avec le chaos nigérien, droite et extrême droite dans l’Hexagone vont pouvoir fantasmer encore davantage sur une nouvelle poussée d’immigration africaine vers l’Europe. Avant le débat parlementaire de l’automne, cela ne va pas arranger le climat de surenchère.
Les temps sont durs pour le Président, obligé de ranger au magasin des souvenirs ses promesses de changement. En Afrique ou ailleurs.
Jean-Michel Thénard. Le Canard Enchainé – 09/08/2023