D’un film à la réalité

Pendant que « Les Algues vertes » (le film) remplissent les salles, les algues vertes remplissent les plages bretonnes.

Une vraie farce : l’État en est à son sixième « plan d’action ». Lequel ressemble furieusement à un plan d’inaction.

Au point que la justice vient de donner quatre mois au préfet de la région Bretagne pour le repatouiller. Elle lui demande d’arrêter de compter sur le volontariat des exploitants agricoles et de définir « un mécanisme de mise en œuvre de mesures réglementaires contraignantes ». Qu’en termes choisis…

Ça fait cinquante ans que les algues vertes ont débarqué en Bretagne. Ça fait trente ans que l’association Eau et Rivières de Bretagne (1) se bat contre elles. C’est elle qui est à l’origine de cette action en justice. Commentaire du président de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor après ce récent jugement : « Les résultats ne viennent pas en un claquement de doigts, c’est un travail de long terme » (« Ouest France », 22/7). Délicieux sens de l’humour.

Il aura fallu la mort d’un joggeur sur la plage de Saint-Michel-en-Grève en 1989, le décès d’un chauffeur transportant des algues vertes en 2009, la mort d’un cheval et l’intoxication de son cavalier la même année, la découverte de 28 cadavres de sangliers en 2011, la mort d’un sportif faisant son jogging dans une vasière en 2016…

Il aura fallu l’action continue d’Eau et Rivières de Bretagne (qui dès 1980 interpellait les pouvoirs publics) et de Halte aux marées vertes, et des manifs, et des actions en justice, menées notamment par les familles de deux victimes, et des condamnations de l’État pour laxisme, et un rapport accablant de la Cour des comptes…

Il aura fallu des articles de presse à répétition, un album de l’ami Pétillon en 2013, le travail de la journaliste Inès Léraud, d’abord sur France Culture, puis avec un roman graphique en 2019, puis son site d’investigation en ligne, Splann !, puis ce film de Pierre Jolivet… Il aura fallu tout cela pour que l’idée s’installe enfin : non, les algues vertes ne sont pas un simple dégât collatéral. Mais un danger public. Et un terrible symptôme.

Il suffit de regarder une carte (2) pour comprendre. À la différence du reste de la France, la Bretagne est littéralement farcie de fermes-usines. Des exploitations concentrationnaires où s’entassent des milliers de porcs et de volailles, et qui rejettent des montagnes de déjections farcies d’azote et de nitrates. C’est cette merde triomphante dont on ne sait que faire qui est épandue partout, qui ruisselle jusqu’à la mer, qui fait le bonheur des algues vertes.

Lesquelles, en se décomposant, dégagent de l’hydrogène sulfuré, un gaz si toxique qu’il peut tuer, qu’il a tué, qu’il tue. Ce système productiviste devenu fou, comment le ramener à la raison ? Première des 10 mesures préconisées par Eau et Rivières de Bretagne : « encourager la réduction du cheptel breton et prioriser l’élevage extensif ».

Encore d’affreux décroissants !


Jean-Luc Parquet. Le Canard Enchainé 02/08/2023


  1. « Algues vertes, 50 ans d’histoire », sur « eau-et-rivieres.org ».
  2. « Alternatives économiques », juillet-août 2023.

2 réflexions sur “D’un film à la réalité

  1. bernarddominik 10/08/2023 / 11h37

    Revenir à une agriculture à taille humaine est ce possible? La France nourrissait proprement 50 millions d’habitant. A 67 on a changé d’échelle d’une part parce qu’il y a moins d’agriculteurs et de terres cultivées, d’autre part parce que pour nourrir tout ce monde il faut des rendements plus élevés. Le problème c’est que les tenants de la « grandeur » veulent un pays dont la population fasse « le poids », ils ouvrent les frontières et croient que tous ces gens vont adopter la doctrine integrationniste française. Ils se trompent lourdement et la burqa est devenue courante dans nos villes et même certains villages.

  2. Anne-Marie 10/08/2023 / 20h00

    Qui peut penser que le gouvernement va toucher aux éleveurs intensifs FNSEA, producteurs de nitrates et pollueurs d’environnement ?

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