… en Big Brother
Bercy a publié en juin un plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière, passé à peu près et injustement inaperçu. Ce document détaille sur 59 pages les nouvelles armes dégainées par l’État pour traquer les tricheurs, parfois au mépris des libertés publiques…
Le fisc avait déjà l’habitude de pratiquer le data mining, une sorte de pêche au chalut qui lui permet de passer au peigne fin des données numériques pour repérer les cas suspects.
Par exemple, l’algorithme « Foncier innovant » (dont « Le Canard » avait révélé l’existence), qui repère les piscines non déclarées en inspectant les vues aériennes de Google. Fin mai 2023, 125 000 courriers ont été envoyés aux proprios de bassines ainsi détectés ! Pour rendre encore plus fructueux les contrôles automatisés, l’État va permettre à ces agents d’accéder à des fichiers qu’il leur était jusqu’à présent interdit de consulter.
Première innovation : l’Intérieur va ouvrir au fisc et à la Sécurité sociale l’accès à l’application Docverif, qui contient toutes les données des cartes d’identité et des passeports. Une autre base de données stratégique sera également disponible le Passenger Name Record (PNR), qui regroupe toutes les données de voyage des transporteurs aériens.
Bercy fiche & chipe les données
A terme, ce PNR intégrera aussi les données des voyageurs au départ ou à destination de la France par voie maritime ou terrestre. Ainsi, le fisc pourra gauler plus facilement le contribuable qui se déclare résident fiscal à Dubai alors qu’il n’y passe pas la moitié de l’année comme le veut la loi.
Même traitement, même punition pour un allocataire de la CAF qui partirait plus de trois mois à l’étranger et toucherait une prestation indue.
Fisc et Sécu misent, en outre, sur la reconnaissance faciale pour limiter l’usage de faux documents d’identité et être certains que les bénéficiaires — de pension, par exemple — sont bien vivants. La méthode a déjà été expérimentée l’an dernier auprès de centaines de retraités volontaires et devrait être généralisée pour les assurés sociaux d’ici à la fin de 2023, via une application.
Bercy voit encore plus grand avec la création d’une nouvelle « mission de renseignement fiscal » rattachée à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. Le gouvernement aimerait permettre à cette cellule d’une centaine d’agents d’avoir accès à des techniques de renseignement très intrusives, comme les écoutes. Sauf que la loi n’autorise ces dernières que face à la criminalité organisée et non pas pour une simple fraude fiscale. Un crève-cceur.
Curiosité insatiable
Le fisc caresse enfin l’idée de puiser dans le Ficoba, le fichier qui recense les noms des titulaires des 300 millions de comptes bancaires actifs en France. Déjà, en septembre 2021, l’administration avait rêvé de demander aux banques d’intégrer au Ficoba tous les mouvements enregistrés sur les comptes bancaires. Ce qui lui aurait permis, ainsi qu’à la police, de zyeuter les opérations de tout un chacun. La loi interdisant ce genre de flicage, l’idée a été enterrée. Du moins pour le moment…
Depuis 2020, de manière empirique, le fisc peut aussi capter les données mises en ligne sur les réseaux sociaux, histoire de repérer les signes extérieurs de richesse. Mais, en raison d’une mauvaise rédaction de la loi, seuls les contenus « librement accessibles » peuvent être consultés par les fonctionnaires. Il est donc impossible aux gabelous ou aux agents des Impôts d’ouvrir des comptes sur Facebook ou sur Instagram pour fouiner dans la vie privée des uns et des autres. Un petit amendement à la prochaine loi de finances est déjà prévu pour leur enlever cette épine du pied…
Article signé des initiales J. C. Le Canard enchaîné. 02/08/2023
Le revers de la technologie et de l’informatique.
« Un monde gagné pour la technique et perdu pour la liberté. » (Bernanos – La France contre les robots)