Si précieuse EAU !

Spécialistes du cycle de l’eau, les ingénieurs hydrologues assurent le contrôle et la gestion de cette ressource, mais aussi la préservation des milieux aquatiques.

Charlène Descollonges, 30 ans, est déjà une des plus brillantes d’entre eux. Après cinq années d’exercice en Haute-Savoie, elle a créé une association militante : Pour une hydrologie régénérative. Car nous surconsommons l’eau douce, ressource rare, et qui va le devenir davantage avec le dérèglement climatique. Nous la prélevons massivement, construisons des barrages, bétonnons les zones humides, déforestons, polluons.

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L’eau recouvre les trois quarts de la surface du globe, mais l’eau douce ne constitue que 2,7 % du total. Contenu dans les glaces des pôles et des hautes montagnes ou dans des nappes très profondes, l’essentiel de cette eau douce nous reste inaccessible. Nous n’avons à notre disposition que 1% de l’eau douce terrestre : celle des rivières, qui se retrouve dans les nappes superficielles, les lacs, les sols…

  • Pourquoi avons-nous eu longtemps une sensation d’abondance ?

Depuis que l’homme s’est sédentarisé, nos sociétés se sont développées près des cours d’eau. Très vite, nous avons su la capter, la canaliser, la stocker. Partout où l’homme s’est implanté, les paysages, les sols et la circulation de l’eau ont été profondément modifiés.

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Nous restons sur une conception erronée du grand cycle de l’eau, apprise à l’école : l’eau des océans s’évapore, arrive sur les continents, ruisselle, s’infiltre, et finalement rejoint les océans. Sauf qu’on a profondément altéré ce cycle. Nous avons pollué, surpompé les nappes phréatiques, réchauffé l’atmosphère. Même dans les déserts, nous forons en profondeur pour atteindre des nappes fossiles qui ont mis des centaines de millions d’années à se constituer et ne se renouvelleront pas. Nous projetons de dessaler l’eau de mer. Nous cherchons toujours à donner l’illusion que l’eau est une ressource abondante. Certes, la France a la chance de bénéficier d’une bonne pluviométrie : 9oo millimètres de pluie tombent en moyenne chaque année, nous avons des cours d’eau, des nappes. Mais avec ces successions de sécheresses et d’inondations en Europe, notre insouciance diminue.

  • Nos modes de vie sont les premiers coupables…

Nos prélèvements d’« eau bleue» — cours d’eau, nappes, lacs — ont été multipliés par huit en un siècle, pendant lequel nous avons industrialisé notre agriculture et triplé nos surfaces céréalières, construit des barrages, des infrastructures, étalé nos villes… Notre « empreinte eau » est la somme de la consommation d’eau bleue, d’eau grise — utilisée pour diluer les polluants dans l’environnement — et d’eau verte : celle contenue dans les plantes, qu’elles mobilisent pour grandir, puis « évapotranspirent ». En déforestant pour implanter des cultures, en cassant des prairies naturelles, on perturbe les quantités d’eau évaporée par les plantes. En cultivant du maïs et du blé, on consomme beaucoup d’eau verte; en artificialisant les sols par l’étalement urbain, on réduit l’humidité des terrains. L’humanité prélève 24 000 milliards de mètres cubes d’eau, l’équivalent de la moitié de tous les fleuves de la planète qui s’écoulent dans les océans. Et pour la France, cela signifie près de 5000 litres d’eau par jour et par personne!

  • Aucun Français n’a le sentiment de consommer autant…

Parce que nous n’utilisons que 150 litres d’eau par jour pour notre vie courante. Tout le reste est lié à nos modes de vie, à nos vêtements (un jean, c’est 11000 litres d’eau), nos équipements informatiques (un smartphone : 12 000 litres), notre alimentation (1 kilo de bœuf : 15 000 litres). C’est de l’eau invisible, souvent importée de pays où elle manque. Donc, nos écogestes à la maison — prendre des douches plus courtes, récupérer l’eau usagée pour le jardin… — sont bienvenus, mais anecdotiques. En revanche, acheter moins de vêtements, consommer moins d’objets, manger moins de viande réduit considérablement notre empreinte eau.

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  • D’où l’implantation des mégabassines ?

Oui, poussée par l’État français, qui interdit l’été les prélèvements dans les nappes, mais autorise l’irrigation à partir de bassines. L’État introduit donc une ségrégation entre les agriculteurs qui ont accès à ces réserves et les autres. Il pousse à l’adoption de Plans territoriaux de gestion des eaux, nécessaires pour créer ces bassines. Celle de Sainte-Soline est subventionnée à 70 % par l’Agence de l’eau, financée par nos factures d’eau. On pourrait choisir d’utiliser cet argent public pour favoriser une transition vers un modèle agricole plus vertueux; on préfère subventionner des ouvrages qui témoignent d’une « maladaptation » au changement climatique. Le terrain du Sud-Ouest ne retient pas l’eau, il n’est donc pas propice à l’agriculture intensive. Or ce devrait être à l’agriculture de s’adapter au terrain, et non l’inverse.

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Le Plan eau adopté le 30 mars 2023 est symptomatique : […] pour l’agriculture, l’objectif est une baisse de 10% d’ici à 2030 alors que les Assises de l’eau, quatre ans plus tôt, préconisaient le double… L’effort principal sera assumé par les particuliers, qui ont déjà réduit leur consommation. Les industriels font de même depuis vingt ans. L’essentiel des économies qui restent à faire est donc du côté agricole.

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  • Les Parlements de l’eau, créés par la loi sur l’eau de 1992, sont-ils des outils efficaces?

Leur but est de planifier la gestion de l’eau à l’échelle d’un bassin versant. Y siègent des élus locaux, des usagers — agriculteurs, forestiers, associations environnementales — et des représentants de l’État. Pour les avoir animés pendant cinq ans, je constate qu’ils sont déconnectés du terrain. Hormis les élus, personne ne les connaît. Ils rendent pourtant un avis sur la construction d’une mégabassine, d’un barrage, d’une centrale nucléaire, avis en général suivi par les préfets. Il faudrait davantage y intégrer les citoyens.


Propos recueillis par Vincent Rémy. Source (Extraits) Télérama. N° 3937 -19/07/2023


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