... Patricia Barbizet !

Une femme, Patricia Barbizet, dans le fauteuil de ce vieux grigou macho d’Ambroise Roux, manquait plus que ça…
C’est fait depuis le 1ᵉʳ juillet. Qui se souvient de ce flamboyant gaillard, toujours le cigare au bec, fieffé réac, monarchiste revendiqué, ayant failli faire une attaque quand Mitterrand s’est installé à l’Élysée, et qui interdisait aux femmes le port du pantalon dans sa boîte ?
Personne, ou presque, sauf que cette figure du patronat, fondateur, après l’arrivée des « socialo-communistes » au pouvoir, d’une petite machine de guerre aussi discrète qu’efficace au service des entrepreneurs, l’Association française des entreprises privées (Afep), aurait avalé son cigare si on lui avait prédit l’élection à la tête de son joujou d’une femme d’affaires. Femme d’affaires ? Un oxymore, aurait-il lancé, goguenard. C’était l’époque où on pouvait encore rigoler, maintenant, on ne peut plus rien dire.
Ambroise Roux est mort il y a plus de vingt ans, et les 117 plus grands groupes privés (LVMH, Dassault, L’Oréal, Kering…) qui composent l’Afep ont décidé de mettre sur le devant de la scène une femme avenante, à l’allure juvénile, maligne, pétillante, bras droit de François Pinault pendant plus de trente ans. Parfaite pour les années compliquées qui s’annoncent. Il va falloir exister face à Sophie Binet, la patronne de la CGT, qui crève l’écran, et face à la très solide Marylise Léon (CFDT).
Sur une ligne de discrète
« L’Afep, c’est la CGT des patrons », rigole un… patron. Baisse des charges, des impôts, trop de paperasse, argent trop cher, salaires trop élevés, ras-le-bol d’être des vaches à lait, la doxa n’a guère changé. Le premier quinquennat Macron, c’était du pain bénit. Le Président est business friendly, et, pour les 40 ans de l’Afep, célébrés l’année dernière au Centre Pompidou, les ministres se bousculaient : Le Maire, Attal, Dussopt, Darmanin avaient fait le déplacement. C’était le bon temps.
Barbizet prend la tête du navire par gros temps. La dette explose, la réforme des retraites a été un échec politique, les émeutes ont traumatisé le pays. Bref, l’heure n’est plus aux baisses de charges ni aux cadeaux fiscaux. Voilà même qu’un député du MoDem, ancien notaire, Jean-Paul Mattei, prend la parole à l’Assemblée pour s’indigner des superdividendes versés par les entreprises. Il va falloir avancer discrètement ses pions, tisser des alliances, s’introduire dans les ministères, réseauter. Ça tombe bien, son truc à elle, c’est le pouvoir dans la discrétion.
Qui connaît son parcours ? Quand Barbizet rencontre François Pinault, il est à la tête d’une entreprise de bois et de matériaux de construction. Elle l’accompagne dans toutes ses aventures, la conquête de Gucci, les complications judiciaires de l’affaire Executive Life, cette compagnie d’assurances californienne rachetée par le Crédit lyonnais puis par l’industriel breton. Elle va aux États-Unis défendre le groupe devant la justice américaine, à l’aise, toujours calme. « Executive Life, c’est beaucoup d’argent pour Pinault, mais dix ans d’emmerdes pour elle », se souvient un proche. Ses heures sont comptées quand l’héritier, François-Henri, prend les rênes de l’entreprise. Le fidèle bras droit est alors chargé de redresser Christie’s, à Londres. Une mission impossible qui précipite son départ du groupe Pinault, en 2018.
Un Siècle d’avance
Toujours discrète, Barbizet a présidé le Siècle, ce club sélect où se presse le Tout-Paris qui chante et qui pétille. Tous les ans, elle organise un grand raout, en septembre, dans le jardin de son hôtel particulier, non loin de la brasserie Lipp. Bref, elle connaît tout le monde, et elle a le talent de ne se fâcher avec personne. Elle a des amis à droite (Sarkozy, Philippe), à gauche (Moscovici) et au centre (Bourlanges), presque tout le CAC 40 vient trinquer chez elle. Elle donne ses rendez-vous au premier étage du Flore, est administratrice de l’Opéra de Paris et préside la Philharmonie. Elle a piloté le Haut Comité de gouvernement d’entreprise (HCGE), un machin qui pond un rapport tous les ans sur les bonnes pratiques des grands groupes et les salaires de leurs dirigeants.
Et vous savez quoi ? Eh bien, Barbizet n’a guère trouvé à redire à l’éthique des grands patrons. Elle est parfaite. Ce n’est pas elle qui claquera la porte de l’Afep, comme l’avait fait, en 2012, Maurice Lévy, le patron de Publicis, après avoir publié une tribune appelant à taxer davantage les plus riches.
Parfois, elle parle de son père, Philippe Dussart, un producteur de cinéma qui fut proche de Godard, de Demy, de Varda et des réalisateurs de la nouvelle vague. Pourtant, elle n’aime pas trop ça, Barbizet, les vagues.
Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé – 19/07/2023