Régulièrement, plusieurs organisations publient des rapports sur la liberté religieuse dans le monde. Tel est le cas de l’ONG Aide à Église en détresse (AED), ou de la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale.
Les critères peuvent différer, mais globalement, les résultats donnent des tendances globales identiques.
Le dernier rapport d’AED1 publié en juin 2023 fournit un état des lieux assez préoccupant : « 62,5% de la population mondiale vit dans des pays où la liberté religieuse est gravement violée, ce qui représente 62 pays sur les 196 étudiés. 28 pays sont classés dans la catégorie rouge rassemblant les persécutions les plus fortes, dont le Nicaragua.
La liberté religieuse s’est fortement détériorée depuis le précédent rapport de 2021 (dégradation dans 47 pays et amélioration dans 9 pays) », explique ainsi l’ONG.
On rappellera ici brièvement le contenu de la liberté religieuse avant de faire une mise en perspective du sujet au regard de l’évolution des relations internationales.
La liberté religieuse, c’est-à-dire ?
La Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 par les représentants de 50 pays Le Préambule de la charte onusienne exprime les idéaux et les buts communs de tous les peuples dont les gouvernements se sont réunis pour former l’Organisation. Parmi ceux-ci, la protection des droits de l’homme.
Le rôle des Nations unies consiste à veiller à ce que la dignité des peuples – au nom desquels la Charte a été écrite – soit pleinement respectée. Les droits de l’homme sont considérés comme des droits inaliénables de tous les êtres humains, quels que soient leur nationalité, lieu de résidence, sexe, origine ethnique et nationale, couleur, religion, langue, etc.
La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948
La DUDH a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, au palais de Chaillot, par la résolution 217. Elle est inspirée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et proclame que les droits de l’homme sont « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». Elle a une valeur symbolique forte, car elle constitue la première affirmation mondiale de la dignité et de l’égalité de tous les êtres humains.
Elle pose les fondements de plus de 80 instruments normatifs en matière de droits de l’homme et a valeur contraignante pour les États qui les ont ratifiés.
Son article 18 concerne la religion : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté par la résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976. Adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 220, c’est de nouveau l’article 18 qui concerne notre sujet et précise davantage le contenu même de la liberté religieuse :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.
3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
4. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. »
À côté de ces deux textes fondamentaux, d’autres textes ont par la suite été adoptés qui
reprennent cette définition :
• la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2106 A (XX) du 21 décembre 1965 et entrée en vigueur le 4 janvier 1969 ;
• la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, adoptée par l’AGNU (résolution 36 / 55) le 25 novembre 1981 ;
• la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques adoptée par l’AGNU (résolution 47 / 135) le 18 décembre 1992.
Le contenu de la liberté de religion
Au vu de l’ensemble des textes susvisés, la liberté de religion recouvre les droits et libertés
suivants :
• le droit de pratiquer la religion de son choix, de ne pas en avoir, d’en changer ou d’y renoncer ;
• la liberté de manifester sa religion individuellement ou en commun, en public ou en privé, et d’accomplir les rites et pratiques inhérents à cette religion ;
• la liberté d’établir et d’entretenir des lieux de culte afin de s’adonner à ses convictions, d’enseigner ou de tenir des réunions se rapportant aux dites convictions ;
• la liberté d’écrire, d’imprimer et de diffuser des publications sur les religions.
Soulignons enfin que la liberté de religion peut néanmoins faire l’objet de restrictions à une double condition : lorsque celles-ci sont 1°) prévues par la loi et 2°) rendues nécessaires par la garantie de l’ordre public (exemple : sécurité, santé et morale publiques).
Simultanément, l’ensemble des textes susvisés condamne les pratiques suivantes :
• toute discrimination fondée sur la religion ;
• tout appel à la haine et à la violence religieuse.
La liberté de religion suppose de porter une attention toute particulière aux minorités religieuses. Il incombe en conséquence aux États, d’une part, de protéger sur leur territoire l’existence de ces minorités et, d’autre part, de favoriser la mise en place de conditions propres à promouvoir leur identité.
Mise en perspective
Au 20 e siècle, l’effacement du religieux comme facteur de structuration de la vie sociale des sociétés occidentales, mais aussi des relations interétatiques, n’a pas été un phénomène universel, homogène et continu. Héritiers de tendances profondes, plusieurs évènements ont signifié la prégnance du religieux, voire sa pertinence renouvelée, à partir de la fin des années 1970 : l’élection, en 1978, de Jean-Paul II qui engagera rapidement le soutien du Saint-Siège à l’opposition au régime polonais, la Révolution iranienne (prise de pouvoir de Khomeiny en février), la prise d’otages à La Mecque (novembre), la guerre en Afghanistan (décembre) en 1979 et, enfin, deux décennies plus tard, la tragédie du 11 septembre.
Ces évènements ont transformé nos perceptions et redonné aux religions un poids qui était sous-estimé, obligeant à prendre davantage en compte le rôle de personnalités et d’organisations religieuses (des congrégations aux confréries en passant par les ONG confessionnelles), mais aussi la persistance de partis politiques à dénomination religieuse, ou encore l’intrication du religieux et du politique dans de nombreux appareils d’État.
Comment caractériser cette omniprésence du religieux tant au sein des sociétés que dans les relations internationales ? Elle est tout d’abord géographique, puisqu’elle s’observe à la fois en Amérique latine (montée en puissance des Églises protestantes) et en Asie centrale, au Proche-Orient ou en Afrique (vitalité de l’islam et du christianisme). Elle concerne également des pays dont les cultures et les systèmes politiques sont différents et dont les niveaux économiques ne sont pas similaires : l’Arabie saoudite, la Corée du Sud, la Malaisie sont concernées tout autant que des États sud-américains ou encore les États-Unis eux-mêmes.
La fin de la guerre froide et la mondialisation ont créé un nouveau cadre international pour les religions, susceptibles de s’exprimer et de s’exporter sans doute plus facilement. Le déclin des grandes idéologies politiques contribue également à faire des grands discours religieux des produits de substitution.
Travaillées de l’intérieur par de multiples mouvements mettant à mal les autorités religieuses, les religions n’apparaissent plus comme des blocs monolithiques ; il existe désormais une large palette de nouveaux mouvements religieux, de la secte Fulan Gong aux mouvements évangéliques et pentecôtistes.
La mondialisation favorise enfin l’expansion de diasporas ethnico-religieuses à travers le monde et renforce donc les processus de pluralisme culturel et religieux. Elle souligne l’existence de minorités religieuses dans de nombreux pays, confrontées fréquemment aux multiples violations des droits de l’homme.
Ces différents processus ont de nombreuses conséquences, d’ordre politique notamment. On constate ainsi que l’ensemble des institutions des Nations unies a dû prendre en compte à la fois la présence de thématiques et d’acteurs religieux de plus en plus nombreux. Que ce soit dans les questions de démographie (sommet du Caire en 1994), d’environnement (depuis Rio 1992), de liberté religieuse, de blasphème, d’éducation (UNESCO), de paix (diplomatie parallèle), d’égalité hommes-femmes et de genre, les acteurs religieux dans leur diversité font preuve d’activisme tant pour proposer des solutions, offrir leur collaboration que pour s’opposer à certaines mesures.
Le système onusien s’est adapté, et il en résulte trois conséquences significatives : une montée en force des thèmes liés à la liberté religieuse, à la tolérance et au respect des minorités religieuses, le système onusien apparaissant alors comme un forum tentant une régulation et un compromis entre des acteurs parfois très vindicatifs ; la prise en charge d’une diplomatie de médiation entre les acteurs religieux, notamment par secrétariat général de l’ONU ; enfin, la création d’une structure de coordination inter-institutions onusiennes afin de gérer les relations si nombreuses avec les acteurs confessionnels ou à identité religieuse prononcée : tel est le rôle de l’inter-agence onusienne UN Interagency Task Force on Religion and Sustainable Development (UN IATF-R), créée en 2010.
La deuxième conséquence notable relève de la prise en compte du religieux dans les politiques étrangères de nombreux États. Les États-Unis ont un bureau dédié depuis la loi de 1998 portant sur l’articulation entre la politique étrangère américaine et la liberté religieuse dans le monde. La Suisse assiste de nombreux acteurs religieux dans leur capacité de peace- building. La Turquie dispose de longue date d’une structure spécifique, la puissante présidence des affaires religieuses (Diyanet), pour exercer une influence auprès des diasporas.
L’Iran et l’Arabie saoudite intègrent dans leur politique étrangère respective une volonté d’influence et de leadership auprès des populations sunnites et chiites, par-delà les frontières étatiques. Vladimir Poutine définit la Russie comme « puissance orthodoxe » en 2005, puis espère continuer un « partenariat positif et polyvalent avec l’Église orthodoxe russe » en 2013, se présentant comme défenseur tout à la fois des minorités chrétiennes au Proche Orient et des prétentions du patriarcat de Moscou.
Ce dernier exemple amène à mentionner une troisième conséquence : dans des sociétés aujourd’hui bouleversées par la mondialisation, les partis populistes ont su articuler des signifiants d’origine religieuse à leur rhétorique traditionnelle. La critique des élites corrompues et la dénonciation du libéralisme des mœurs et des conséquences sociales de l’ultralibéralisme économique, s’accompagnent d’une relecture de l’histoire et d’une perception de devoir lutter contre une « décadence ».
Ce sentiment a été très fort aux États-Unis dans la rhétorique de Donald Trump, mais il l’est tout autant chez Poutine ou dans les discours politiques du dirigeant turc, Recep Tayyep Erdogan. La religion fournit un réservoir de symboles et d’épopées historiques qui permet une fabrique de l’ennemi à géométrie.
En Europe, on retrouve l’ensemble de ces approches au sein notamment des partis chrétiens conservateurs, regroupés dans le Mouvement politique chrétien européen (European Christian Political Movement, ECPM), qui dénoncent tous les dérives du libéralisme culturel et économique et souhaitent restaurer un système de valeurs que le christianisme seul peut fournir.
C’est une approche assez similaire que l’on retrouve avec le parti Droit et Justice en Pologne ou le Fidesz en Hongrie. L’articulation du populisme au religieux trouve son origine dans cette rhétorique réactionnaire au sens propre du terme, c’est-à-dire dans ce moment politique qui vise à revenir à une situation antérieure réelle ou supposée ou à une remise en cause du patrimoine immatériel, que ce dernier relève de la « tradition », des « habitudes », voire de l’architecture (les mosquées qui concurrencent les églises) ou du religieux (dans sa dimension culturelle).
Au croisement de l’ensemble de ces mutations, la question de la liberté religieuse et des persécutions religieuses apparaît de manière protéiforme. Elle relève de la pratique de régimes hostiles par idéologie aux religions (Chine, par exemple), d’États dont l’identité culturelle est arc-boutée à la dimension religieuse, facteur d’homogénéité au sein de la population, ou encore des conséquences à court terme des politiques envisagées par les partis populistes. Elle est liée également aux remises en cause des droits de l’homme parfois encore jugés « occidentaux », près de soixante-dix ans après la promulgation de la Déclaration universelle.
Elle est aussi une conséquence de la tendance de certaines autorités religieuses à juger que leur vérité est absolue, ou dont les valeurs et rites sont contestés et apparaissent en marge d’évolutions sociétales (circoncision, abattage rituel des animaux par exemple).
La stratégie onusienne, certes encore chaotique, d’enrôlement des acteurs religieux dans un dialogue institutionnalisé, la signature de documents entre autorités religieuses sur la tolérance, la fermeté des démocraties dans la défense de leurs valeurs constitutionnelles, les actions des mouvements de droits de l’homme sont autant de mobilisations visant à circonscrire un problème désormais mondial.
Pour aller plus loin
- https://acninternational.org/religiousfreedomreport/fr/rapports/globale/2023
- https://www.osce.org/files/f/documents/f/e/480422.pdf
- https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2021/04/30/la-liberte-religieuse-menacee-dans-un-pays-sur-trois_6078603_6038514.html
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/31/les-frontieres-mouvantes-de-la-liberte-religieuse-en-europe_6167696_3232.html
- https://www.rfi.fr/fr/podcasts/d%C3%A9bat-du-jour/20230627-la-libert%C3%A9-religieuse-est-elle-en-recul
François Mabille / Politologue, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique des religions. Une analyse de Juillet 2023.
https://youtu.be/IIoyykqWtCU
Tant que ceux qui revendiquent cette liberté tolèrent celle des autres de penser différemment je n’y trouve, pour ma part, rien à redire; malheureusement cette liberté est souvent le creuset du fanatisme et du dénigrement aujourd’hui comme hier…ce qui nuit fortement à l’expression de la liberté religieuse et à la crédibilité des dogmes, nécessitant la défense implacable de la laïcité dans le domaine public.