Postez-vous devant une plante en fleur, pâquerette, pissenlit, renoncule, coquelicot, la première qui vous tape dans l’œil. Que ce soit dans votre jardin, un parc, une prairie, en ville ou à la campagne, peu importe. Peu importe l’heure (même la nuit, ça marche !).
Restez vingt minutes sur place, pas une de plus ou de moins. Dès qu’un insecte vient butiner une fleur, prenez-le en photo. Ça y est, vous êtes un Spipollien. « Spipoll » : Suivi photographique des insectes pollinisateurs.
Les Spipolliens sont apparus en 2010. « Certains le restent deux ou trois ans, dit Colin Fontaine, écologue au Muséum national d’histoire naturelle et responsable scientifique du Spipoll. D’autres, à vie. » Pas moins de 4 000 Spipolliens se sont succédé. En ce moment, il y a 300 acharnés. Ils échangent sur un forum Internet. Ils organisent des sorties régulières.
En mai, une trentaine d’entre eux se sont retrouvés dans le Périgord pour un week-end national d’échanges et d’observations (sans oublier l’« apéritif des terroirs »). Hugo Josse, l’un d’eux : « Ma copine et moi, on s’est rencontrés grâce au Spipoll. » Bientôt la deuxième génération de Spipolliens ?
Mais poursuivons. Une fois rentré chez vous, triez vos photos. Une seule par insecte, recadrée pour qu’on le voie dans toute sa splendeur. Si plusieurs bourdons de la même espèce sont venus butiner, ne gardez qu’une seule photo. Il ne s’agit pas de compter le nombre d’insectes venus rendre visite aux fleurs mais de recenser la diversité des espèces. Peur de rentrer bredouille ? C’est rare. En vingt minutes, vous verrez passer au minimum trois espèces d’insectes pollinisateurs.
Le chiffre peut monter jusqu’à 20 ou plus. Maintenant, connectez-vous sur « spipoll.org » et chargez votre « collection » (c’est ainsi qu’on nomme la récolte photographique). Il vous faut la dater, contextualiser, numéroter, classer, archiver. Mais avant tout identifier les espèces. C’est là que ça devient à la fois très savant, et ludique, et interactif.
Savez-vous qu’il existe quatre grands ordres d’insectes pollinisateurs ? Et qu’ils sont très riches en espèces ? Rien que celui des hyménoptères, qui regroupe notamment les abeilles, les guêpes et les bourdons, compte 8 000 espèces en France.
Eh oui : l’abeille domestique, celle qui remplit les ruches de miel (que nous lui soutirons habilement), est loin d’être unique. Il existe chez nous près de 1 000 espèces d’abeilles sauvages. Lesquelles ne vivent pas en colonie dans des ruches mais en solitaire, dans les sols, les trous d’arbre, les tiges…
Les trois autres grandes familles d’insectes pollinisateurs ?
Les coléoptères (scarabées, longicornes, coccinelles…), avec 9 600 espèces en tout. Les diptères (mouches, taons, moustiques…), avec 8 000 espèces. Et les lépidoptères, soit 5 000 espèces de papillons. Comment s’y retrouver, dans ce pullulement de plus de 30 000 espèces ? Comment mettre un nom sur chaque insecte photographié ?
Pour la coccinelle à sept points, facile, évidemment. Mais comment distinguer une bruche d’une dermeste, une mordelle des draps mortuaires (oui, ça existe !) d’une guêpe Vespula ? Heureusement, il y a le site du Spipoll. Gratuit, didactique, riche en informations, très pratique, il comporte une « clé d’identification » qui facilite le travail on n’a plus qu’à se laisser guider.
D’abord, grâce à un jeu de silhouettes, d’un coup d’œil vous voyez si l’insecte a une allure de scarabée ou de punaise, ou autre. D’étape en étape, vous parvenez à identifier votre insecte. Bien sûr, il arrive que le doute persiste. « C’est là que le côté participatif apporte beaucoup, relève Colin Fontaine. Les entomologistes professionnels sont très spécialisés par groupes, et très jaloux de leurs connaissances. Ici, chez les Spipolliens, on partage. » Chaque nouvelle collection est mise en ligne, et accessible à tous.
Au début, les scientifiques se sont méfiés de ces « amateurs ». Forcément, ils manquaient de sérieux. « Certains sont devenus de vrais connaisseurs, dit Colin Fontaine. On a vu émerger un nouveau type d’entomologistes. Entre eux, les commentaires sont super bienveillants. » Pour être sûr qu’un Spipollien a correctement identifié son insecte, il faut que son identification ait été validée à trois reprises. Pas par des scientifiques patentés • ce sont les Spipolliens eux-mêmes qui s’y collent. La même logique, au fond, que Wikipédia. Et ça marche très bien ! Voyez Barbara Mai, qui vit en Ille-et-Vilaine. Enfant, elle avait peur des insectes. Depuis sa rencontre avec le Spipoll, elle n’arrête pas. A elle seule, elle a constitué pas moins de 6 600 collections en douze ans. Elle est devenue experte au point de faire partie des quelque 25 personnes qui, contribuant régulièrement à l’inventaire du patrimoine et à l’expertise pour les politiques de biodiversité, ont reçu le titre de « correspondant scientifique du Muséum ». Son activité de Spipollienne lui procure de vrais émerveillements « Un jour, je suis tombée sur une centaine de paons-du-jour butinant de l’eupatoire chanvrine. Déambuler parmi eux sans qu’ils s’envolent, c’était féerique » (1). Sa fréquentation assidue des pollinisateurs l’a amenée plus loin. Les employés communaux de son village fauchaient les pissenlits ? Elle leur a demandé de ne couper les fleurs qu’après floraison. Et, pour mieux faire comprendre sa demande, a concocté un poster à partir des photos spipolliennes. Idem pour l’arrachage des lierres, la tonte de la pelouse d’un monument aux morts, etc.
Hugo Josse, lui, a installé des tiges de bambou dans la jardinière de son balcon pour y accueillir des abeilles sauvages. Elles viennent y pondre leurs oeufs. Il est intarissable sur la manière dont elles constituent leurs réserves de pollen, qu’elles cloisonnent à la cire. Son principal plaisir : « Déjà, le simple fait de rester vingt minutes à regarder une plante en fleur, c’est formidable. Mais il y a aussi le plaisir de découvrir des espèces qu’on n’a jamais rencontrées. Parfois, on tombe sur des insectes extraterrestres !
Le gastéruption à javelot, par exemple, une espèce de guêpe parasitoïde qui a, au bout de son abdomen, un ovipositeur plus long que son corps » (l’ovipositeur étant, comme son nom l’indique, un outil lui permettant de déposer ses oeufs dans des endroits inaccessibles). Spipollien, Hugo Josse voit la France d’un tout autre oeil que nous : « Il suffit de faire 200 km, et rien n’est plus pareil. Comme la nature des sols n’est plus la même, on trouve d’autres types de végétation et de fleurs. Et donc d’autres insectes. Quand je vais dans le Sud, je suis perdu ! » Et émerveillé.
Les insectes n’aiment pas les insecticides
Qu’a apporté le Spipoll ? Pas moins de ’71 192 collections d’insectes pollinisateurs à ce jour. Des données très utiles aux chercheurs. Nos connaissances à leur sujet sont maigres. On sait qu’en trente ans le nombre d’insectes s’est effondré de 75 %, et que les premiers responsables sont la disparition des habitats et la chimie (impossible, par exemple, à une abeille sauvage de nicher dans un sol gorgé de pesticides). Mais quels sont les insectes les plus touchés ? Où sont les survivants ? « Une dizaine de chercheurs en France exploitent ces données, dit Colin Fontaine. Quatre thésards en ont fait la matière de leur thèse.
Le Spipoll leur a permis de faire des comparaisons spatiales jusqu’ici inexistantes. De constater que les villes sont devenues un refuge pour certains pollinisateurs. Elles accueillent pas moins d’un quart des abeilles sauvages. Pas celles qui nichent dans les sols, évidemment, mais celles qui nichent dans les tiges. Mais attention : on trouve les mêmes à Marseille et à Paris, ce qui veut dire qu’il y a une homogénéisation en cours. »
Autres observations des Spipolliens : l’arrivée en France d’abeilles venues d’Italie (à cause du réchauffement) ; le fait que le frelon asiatique n’a pas gêné son cousin européen ; et aussi, phénomène encore mal connu, la remontée vers le nord des araignées-crabes, venues s’installer dans les fleurs et en chasser les pollinisateurs…
Jean-Luc Porquet. Le Canard Enchainé. 05/07/2023
(1) Revue « Insectes », n°207 (4e trimestre 2022).
Super intéressant, je ne connaissais pas ce phénomène de société 🐞🐝🪰🪳🦟🪲🦗🐜🕷️🦂
Merci Christine pour ce commentaire… Illustré de plus.
Amitiés
Michel
Merci pour ces informations. J’ignorais tout de cette pratique. C’est très intéressant. Je viens de découvrir une nouvelle activité à pratiquer lors de mes randonnées!
Bonjour et tant mieux si cette info permet une nouvelle activité lors de randos.
Amitiés
Michel