Noctambule rêveur, chemineau indécis au gris de ton ennui, voici l’instant de mettre un peu de lune dans ton vin.
Écoute.
Une soyeuse lueur d’albâtre s’insinue en lisière de brume, au flanc obscur de la forêt d’étoiles. Promesse de nuit blanche peuplée d’intense solitude. L’astre fossile, actrice poudrée, ouvre le bal, frappe les trois coups. Le rideau se lève, le silence applaudît.
Méprise les réverbères, amnésique citadin, ces néons aux sourires de sirènes ; détourne ton regard des clinquantes et lyriques impostures. Ce soir appartient aux yeux d’Endymion. Ce soir t’appartient.
« Superbe, elle déborde du ciel », ainsi Max Jacob présentait-il ce lustre d’argent.
Bonsoir, Madame la Lune ! Hostie profane, fille jubilatoire des ténèbres, échappée de quelque ciboire sidéral…
Ça va ? Comme un lundi !, cligne-t-elle de son œil d’amusante amusée. Mais, de qui se moque-t-on ? Cette blanche figure qui semble te promettre la lune connut bien quelques iconoclastes farceurs !
« Face de lampadaire », « Visage de Brie »… ricanait Raymond Queneau.
Cependant, c’est davantage dans son corset de nuages que la ronde muse inspire les poètes, tel Charles Baudelaire : « Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse, ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins… ».
Lune, fleur sans tige, magnolia fané, ta chair froide frissonne dans le clapotis des vagues…
Images à l’infini, répétées, lancinantes, rétiniennes.
Entends, somnambule quêteur, cette meute de loups haletants, dévalant les folios glacés d’un roman de Curwood ; ils se posent et, le cul planté dans la neige bleue, canines étincelantes, la gueule pointée vers la bergère au troupeau d’étoiles, ces loups fuligineux hurlent leur faim de lune.
Certaines nuits, l’espace est taciturne, le nombril du ciel est pudique, le marchand de sable est passé. Point d’ombres séléniques, point de voyelle au chant de la hulotte.
Pas de quartier pour la lune. La foule stellaire s’ennuie ferme. L’astronome aussi. On attend patiemment le retour de la diva.
Au détour du chemin, une flaque, miroir où brille un œil blanc. La voici, lune de lait, parée de son vif éclat.
Vaisseau, toutes voiles dehors, sur l’océan du ciel, elle vogue, contemple les déserts, lune de sable, survole les champs de bataille, lune de sang.
Mais, chut ! C’est au petit matin, dans la fraîcheur de l’aurore, à l’heure du croissant chaud, que la belle courtisane envoie quérir ses amants, les poètes éperdus.
Ami, avant de succomber, souviens-toi de l’antique proverbe : « celui qui couche avec la lune a sa folie dans les yeux ».
Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèche et d’Ailleurs » Ed. La Calade