Neutre !

La Suisse peut-elle rester neutre face à la guerre en Ukraine ?

La neutralité, un statut hérité du congrès de Vienne de 1815

Tandis que le conflit en Ukraine a conduit Suédois et Finlandais à renoncer à leur neutralité, les Suisses restent attachés à ce statut autant qu’à leur ancrage occidental.

Si Berne participe aux sanctions contre Moscou, ses clients ne peuvent réexporter leurs armes d’origine helvétique vers Kiev. Cette position médiane attire les critiques des voisins européens.

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[…] le 24 février 2022 […] la Russie envahissait l’Ukraine, une offensive aussitôt condamnée par Berne comme une « violation flagrante du droit international ». En bouleversant les équilibres sur le continent européen, la guerre a eu pour effet d’isoler la Suisse, elle qui accorde tant d’importance à son ouverture au monde.

Dans le pays, la question jusque-là consensuelle de la neutralité a surgi dans le débat public. À l’extérieur, la « crédibilité » dont se réclamait M. Cassis, devenu entre-temps président de la Confédération, pâtit de l’incompréhension des partenaires de Berne.

Depuis le début de l’intervention russe en Ukraine, le Conseil fédéral, dans lequel les principaux partis sont représentés, a bien malgré lui réussi le tour de force de se mettre beaucoup de monde à dos.

Les plus attachés à la neutralité reprochent au gouvernement suisse de l’avoir bradée en reprenant à son compte, après une valse-hésitation, tous les paquets de sanctions adoptés par l’Union européenne à l’encontre de la Russie.

En représailles, cette dernière, avec laquelle la Suisse entretenait jusque-là de bonnes relations, en particulier économiques, l’a ajoutée à sa liste des « pays hostiles » comprenant tous les États ayant placé Moscou sous sanctions.

Les autres, en interne comme chez ses voisins, accusent au contraire Berne de se dérober à la traque des avoirs russes et, surtout, d’entraver le soutien européen à l’effort de guerre de l’Ukraine en raison d’une interprétation étriquée de sa neutralité. S’il n’a jamais été question que la Suisse achemine elle-même des armes sur le terrain des combats, Berne refuse à plusieurs pays européens, l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne, l’autorisation d’expédier sur place du matériel acheté à l’industrie helvétique.

Profondément divisés, les parlementaires ont déjà plusieurs fois débattu du dossier de la « réexportation » des armes suisses par des États tiers, interdite par la loi fédérale sur le matériel de guerre, lorsque « le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international (1) ». Le Conseil fédéral se réfère aussi à la cinquième convention de La Haye, qui prévoit que toutes mesures restrictives ou prohibitives à l’égard des armes « devront être uniformément appliquées (…) aux belligérants (2) ».

L’Allemagne, qui réclame de pouvoir réexporter ses munitions d’origine suisse pour les canons antiaériens qu’elle a fournis à l’Ukraine, ne décolère pas : « La neutralité n’est plus une option. Être neutre, c’est prendre le parti de l’agresseur », a cinglé la ministre des affaires étrangères allemande, l’écologiste Annalena Baerbock, lors de la conférence de Munich sur la sécurité en février dernier.

Bousculée dans ses certitudes par des citoyens préoccupés, une classe politique désunie et des voisins cherchant à lui forcer la main, la Confédération est ainsi contrainte de réexaminer le sens de sa neutralité et sa place dans la reconfiguration géopolitique. La période s’annonçait pourtant prometteuse. Vingt et un ans après son adhésion aux Nations unies, la Suisse a en effet accédé en janvier 2023 au saint des saints : le Conseil de sécurité, où elle siège pour la première fois en tant que membre non permanent pour une durée de deux ans et qu’elle a présidé durant le mois de mai.

Le plus petit dénominateur commun

« Le débat qui agite notre pays est sain et démocratique. Il est d’autant plus intéressant qu’il ne porte pas sur un enjeu de politique intérieure, comme c’est habituellement le cas, mais sur notre politique étrangère. C’est une force d’être capable de discuter de ces questions ouvertement », estime Mme Micheline Calmy-Rey, qui fut ministre (socialiste) des Affaires étrangères et deux fois présidente de la Confédération entre 2007 et 2011.

« La principale difficulté est que personne ne sait exactement ce qu’est la neutralité et que tout le monde, en Suisse comme ailleurs, l’interprète à sa façon », explique Sacha Zala, directeur du centre de recherche Documents DIplomatiques Suisses (Dodis) et président de la Société suisse d’histoire.

[…]


Angélique Mounier-Kuhn. Le monde diplomatique. Source (extraits)


  1. Loi fédérale sur le matériel de guerre du 13 décembre 1996.
  2. Article 9 de la convention de La Haye de 1907 concernant les droits et les devoirs des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre.
  3. « Sicherheit 2023 », 22 mars 2023.

2 réflexions sur “Neutre !

  1. marie des vignes 29/06/2023 / 18h47

    Bonsoir Michel, et bien moi, j’aimerais bien être neutre , je mets dos à dos les deux dirigeants Ukraine et Russie , ils ne m’inspirent aucune confiance , et puis si l’on sait maintenant que le fils de Jo Biden a beaucoup d’intérêts en Ukraine cela me pousse à réfléchir. Bonne soirée bisous MTH

  2. bernarddominik 29/06/2023 / 20h41

    Les alliés de l’Ukraine sont minoritaires dans le concert des nations. On ne peut ignorer cette réalité

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