Wauquiez-Beaune jouent au train fantôme sur le Lyon-Turin

L’élu et le ministre se livrent à une petite comédie budgétaire pour faire patienter Bruxelles.

Carillonné début juin par le ministre des Transports, Clément Beaune, le déblocage de 3 milliards d’euros pour l’aménagement des voies d’accès au tunnel de la nouvelle ligne de fret Lyon-Turin n’a rien réglé du tout. L’annonce n’a fait que relancer la partie de mistigri qui se joue autour de ce chantier titanesque.

Autour de la table ? L’Etat, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Laurent Wauquiez) et la Commission européenne. Sans oublier les écolos, qui accusent cette opération de saccager les vallées alpines et l’ont fait savoir en manifestant le 17 juin…

Programmé en plusieurs tronçons, le Lyon-Turin avance comme une tortue depuis les années 90. Aujour-d’hui, seule la mise en place du premier volet semble à peu près sur les rails : l’opération consiste à percer sous les Alpes un tunnel de 57,5 km – record du monde pour faire passer, à compter de 2034, des trains de marchandises.

Ça déraille !

Sur ce segment international, l’Union européenne, la France et l’Italie se sont partagé l’addition : 55 % pour Bruxelles, 25 % pour Rome et 20 % pour Paris. A ceci près que le devis de 6 milliards d’euros, établi en 2012, a méchamment déraillé. Selon les experts, la facture de cette seule percée est bien partie pour dépasser les 12 milliards.

Autre léger problème : ce tunnel seul ne servira à rien ! Il débouchera sur des voies dignes d’un tortillard qui ne permettront pas le passage à haut débit des wagons transportant les camions. D’où la nécessité de passer à une deuxième phase du chantier, aussi colossale que la première, impliquant la construction de 150 km de voies d’accès côté français et de 60 km sur le versant italien.

De l’autre côté des Alpes, les pelleteuses sont déjà entrées en action. Rien de tel entre Lyon et la vallée de la Maurienne, en Savoie, où se situe l’entrée française du tunnel. Tous les précédents gouvernements ont reporté cette tranche de travaux en raison de son coût faramineux : 12 milliards. L’Europe est censée en régler 6 milliards d’euros, et la France le reste.

Cinéma bruxellois

Clément Beaune s’est con tenté d’annoncer 3 milliards et a gentiment prié Laurent Wauquiez de payer le reste. Pas question ! a rétorqué le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans « Le Progrès » (6/6), il a assuré qu’il n’irait pas au-delà du milliard et a refilé la patate chaude aux autres collectivités locales, qui n’ont pas l’intention de débourser le moindre million.

Ce cinéma budgétaire a son utilité : multiplier les effets d’annonce pour éviter que l’Europe, lassée d’attendre le passage aux travaux pratiques, annule ses crédits et les transfère à d’autres pays européens pour d’autres projets. Dans ce cas, la France devrait attendre le prochain train de subventions bruxelloises, qui ne passera pas avant 2028, ce qui reporterait l’inauguration de la voie nouvelle à 2040… au mieux.

Dans l’immédiat, aucun crédit n’a encore été ouvert pour construire les voies d’accès. Les promoteurs du Lyon-Turin en sont toujours à chercher 150 millions d’euros pour réaliser l’indispensable « avant-projet détaillé » qui doit permettre de fixer les tracés, de lancer les expropriations et d’organiser les appels d’offres.

« Sinon, redoute un expert de la ligne, la déclaration d’utilité publique, qui date de 2013, va devenir caduque. » Il faudrait alors repartir de zéro et retarder encore l’inauguration des nouvelles voies. Au risque de se retrouver, des années durant, avec un tunnel flambant neuf à 12 milliards d’euros quasi inutile…


Jérôme Canard. Le Canard Enchaîné. 21/06/2023


2 réflexions sur “Wauquiez-Beaune jouent au train fantôme sur le Lyon-Turin

  1. bernarddominik 25/06/2023 / 15h14

    Comme d’habitude, l’état prend des engagements sans tenir les ficelles du financement. Que Wauquiez ne veuille pas payer je le comprends, car cette ligne est d’intérêt national, pas régional.
    En Provence, nous avons Muselier prêt à payer 30 milliards pour la calamiteuse LGV sud, dont personne ne veut, sauf les gros bétonneurs et les financiers. On sait pour qui roule Muselier.
    Wauquiez semble plus réaliste pour ne pas dire autre chose de déplaisant pour Muselier. Pour moi Wauquiez a raison, que le ministre Beaune prenne ses responsabilités et son carnet de chèques

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