Sous les noyés, la plage

Ils étaient 750 à s’entasser sur un chalutier décrépi, parti de Libye, les hommes sur le pont, les enfants et les femmes dans la cale pour être protégés du soleil et des prédateurs sexuels.

Ils avaient déboursé des milliers d’euros pour débarquer en Italie. Aucune femme ni aucun enfant ne figure parmi la centaine de rescapés. Que des hommes. Au moins 500 disparus. Le pire naufrage depuis 2016. Le pire, surtout, par ce qu’il révèle de l’Union européenne.

Les patrouilles de Frontex surveillaient le bateau et le savaient en détresse. La marine grecque jure lui avoir proposé son aide, qu’il aurait refusée, alors que le droit maritime lui imposait de monter à bord pour l’assister.

Selon des rescapés, les gardes-côtes hellènes auraient tenté de remorquer le bateau en dehors de leurs eaux territoriales, et c’est alors qu’il aurait coulé. Vrai ? Une enquête de la BBC semble le confirmer. Les Grecs sont déjà sous le coup de plusieurs accusations de « push back » (refoulement des migrants).

Les valeurs de l’Éurope sont bien en train de sombrer en Méditerranée. « Avec plus de 20 000 morts enregistrés depuis 2014, je crains que ces décès aient été normalisés »disait en avril, déjà, le patron de l’Organisation internationale pour les migrations de l’ONU. Le droit maritime, qui oblige à porter secours aux naufragés, est de plus en plus bafoué. Depuis belle lurette, les marines nationales répugnent à jouer leur rôle de sauveteur quand il s’agit de migrants.

Les ONG sont empêchées de les remplacer, accusées de faire le jeu des passeurs. L’UE préfère déléguer le problème à la Libye, qui a fait de la migration un bizness. Les dirigeants libyens sont payés par l’Éurope pour empêcher les migrants de partir et par les passeurs pour les laisser filer. Un accord à 1 milliard d’euros est en passe d’être conclu entre PUE et la Tunisie, qui pourrait être tentée de faire de même.

La non-assistance à personne en danger devient banale dans l’Union européenne.

En France, cinq militaires ont été mis en examen pour ce motif, le 25 mai à Paris, dans l’enquête sur le naufrage d’un canot dans la Manche le 24 novembre 2021, emportant 27 passagers, des Kurdes irakiens âgés de 7 à 46 ans.

Les militaires du Cross Gris-Nez, chargés des secours, avaient passé leur temps à renvoyer la balle à leurs homologues anglais. Qui veut encore accueillir des migrants ? Qui défend une politique commune d’immigration dans l’UE, fondée sur les principes de solidarité et de partage égal des responsabilités ?

Les droites d’Europe passent des accords de gouvernement avec l’extrême droite ou pompent son programme, qui, de toute éternité, raconte que l’étranger est l’ennemi. Les opinions ont fini par y croire.

Les migrants sont condamnés d’avance. Quand ils prennent la route pour fuir la misère et la guerre, ils sont rackettés et esclavagisés, avant de finir noyés.

Bonne baignade, cet été.


Jean-Michel Thénard. Le Canard Enchaîné. 21/06/2023


3 réflexions sur “Sous les noyés, la plage

  1. bernarddominik 23/06/2023 / 18h25

    Dans cette affaire on a l’impression qu’on a affaire à des demeurés qui ignoraient qu’ils étaient trop nombreux sur un bateau pourri. Par définition un homme est un Homme donc responsable de ses actes. N’accusons pas les Grecs de les avoir forcés à monter sur ce bateau, en revanche en promettant un prompt secours les ong les ont incités à prendre ce risque. N’inversons pas les rôles. On ne peut sauver tous les fous prêts à se suicider pour un voyage avec un retour quasi certain. Écoutez les européens, que vous alliez en Italie en Espagne en France en Allemagne en Autriche l’immense majorité des habitants disent « y en a marre on en veut plus », et ces mêmes qui se précipitent en Europe chez eux traitent les européens de tous les noms d’oiseaux, regardez leurs commentaires sur les réseaux sociaux.

    • Libres jugements 24/06/2023 / 0h23

      Tant que les états aux économies  » avancées  » ne s’occuperont pas des états en détresses. Tant que des personnes crèveront de la faim, où seront victimes de répressions féroces, inhumaines, par des dictatures. Tant que des conflits ethniques ou des volontés hégémoniques existeront ; les migrations existeront. MC

  2. Anne-Marie 23/06/2023 / 19h16

    Repli sur soi, peur de l’autre, absence de partage, tout ce qu’une société contemporaine basée sur l’argent, la consommation effrénée et le fantasme sécuritaire a fini par instaurer comme valeur suprême chez bon nombre de contemporains.

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