Salarié, vous n’avez pas honte ?

« L’inflation ralentit, mais devrait rester trop forte pendant une trop longue période. Le Conseil des gouverneurs a donc décidé, ce jour, d’augmenter les trois taux d’intérêt directeurs de la BCE de 25 points de base [c’est-à-dire de 0,25 %, ndlr], conformément à notre détermination à assurer un retour au plus tôt de l’inflation au niveau de notre objectif de 2 % à moyen terme. »

Lors de leur conférence de presse de jeudi dernier, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), et Luis de Guindos, vice- président, ont été clairs : ils souhaitent accroître le coût des crédits, afin qu’entreprises et particuliers empruntent le moins possible, et donc achètent le moins possible de machines et de logements.

Selon la BCE, l’inflation de la zone euro devrait être de 5,4 % cette année. Comme c’est plus que les 2 % de son mandat officiel, c’est trop.

  • Mais l’économie européenne n’est-elle pas en récession ? Si.
  • Et l’inflation n’est-elle pas en large partie causée par les entreprises, qui ont accru leurs marges ? Si, aussi (1).
  • Taper sur le crédit est donc inefficace, puisqu’il n’est pas à l’origine de l’inflation (c’est la bouffe, l’énergie et les transports qui en sont la cause).
  • C’est également injuste, puisque cela laisse impunies les entreprises dont les marges explosent. Mais la BCE, qui massacre nos économies avec ses hausses répétées de taux d’intérêt ces derniers mois, va bien sûr continuer.

Écoutons nos amis : « Dans la mesure où il devrait de plus en plus freiner la demande, le durcissement des conditions de financement est l’une des principales raisons pour lesquelles l’inflation poursuivrait son repli vers notre objectif. » Fiers de leur résultat (mettre les personnes les moins bien nées au chômage, quel délice ! ), nos deux artistes comptent persévérer : « Nos décisions futures feront en sorte que les taux d’intérêt directeurs de la BCE soient fixés à des niveaux suffisamment restrictifs pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation au niveau de notre objectif de 2 % à moyen terme, et qu’ils soient maintenus à ces niveaux aussi longtemps que nécessaire. »

Car l’ennemi est bien connu : c’est le salarié.

Voilà-ti-pas que les salaires augmentent dans la zone euro, certes moins que l’inflation, bien sûr -12,5 % de hausse pour la bouffe en un an -, mais c’est déjà trop. « Les tensions sur les salaires […] deviennent une source de plus en plus importante de l’inflation. La rémunération par personne occupée a progressé de 5,2 % au premier trimestre de l’année. »

Christine n’en croit pas ses yeux, elle a la gorge sèche, les mots sortent difficilement : 5 % pour ces pouilleux d’ouvriers et d’employés… Mais on est où, là, en URSS ?

Pire encore : « Le taux de chômage s’est établi au niveau extrêmement bas sur temps long de 6,5 % en avril. » Vous la voyez, la crispation sur le visage de Christine lorsqu’elle prononce « extrêmement bas » ?

Parce qu’un chômage qui baisse trop, c’est un salarié qui redresse l’échine d’un millimètre. Et ça, Il ne faut pas.

Alors Christine va accroître les taux d’intérêt, en juillet, et à nouveau en septembre (2). Jusqu’à ce que, enfin, le chiffre magique de 2 % d’inflation trône sur une Europe remplie de miséreux. Et, ce jour-là, Christine, payée plus de 400 000 euros par an avec nos impôts, sera détendue, souriante, heureuse du devoir accompli.


Gilles Raveaud. Charlie hebdo. 21/06/2023


  1. « Les bénéfices des entreprises ont contribué à l’inflation, selon Christine Lagarde » (Euractiv, 6 juin 2023)
  2. « Inquiète de l’inflation, la Banque centrale européenne va poursuivre sa hausse des taux d’intérêt », par Eric Albert (Le Monde, 15 juin 2023).

2 réflexions sur “Salarié, vous n’avez pas honte ?

  1. bernarddominik 23/06/2023 / 15h52

    Rien que du très classique. Elle ne pouvait rien faire d’autre pour éviter une chute de l’euro. La récession est déjà là en Allemagne . Pour le capital elle est nécessaire face à l’envolée des coûts de production, car pour ces gens là parler de baisser leurs profits pour mieux payer les salariés c’est inenvisageable

  2. christinenovalarue 23/06/2023 / 16h26

    Il y a même pire ennemi que le salarié, c’est le pauvre. S’il conjugue ces deux états, bingo !

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