Marylise Léon

« Sans concurrence et sans bruit, elle a dit oui pour succéder au patron de la CFDT, qu’elle secondait depuis cinq ans ».

Elle aime le semi-marathon, le parapente, le tricot, le street art et Jacques Brel.

Elle savoure ses derniers moments de tranquillité toute relative, car, le 21 juin, Marylise Léon deviendra la patronne de la CFDT, en remplacement de Laurent Berger, Pas besoin d’en passer par un congrès, elle prend les rênes, investie par ses pairs, en douceur, Rien d’évident, même quand, comme elle, on est militante de longue date et adjointe de Berger depuis cinq ans.

Passer derrière un homme qui annonce son départ en lançant tranquillou « Je ne suis pas indispensable à la CFDT », après avoir propulsé son organisation au rang de premier syndicat de France et fait rêver une bonne partie de la gauche, bon courage, Marylise la discrète – le qualificatif revient dans la bouche de tous ceux qui parlent d’elle – est en apparence vernie.

Elue depuis des années au bureau national de son syndicat avec des scores qu’envierait Kim Jong-un (99 % en 2014, plus de 97 % en 2022), elle est un parfait produit maison, dont l’arrivée au pouvoir était attendue.

Pas de petites phrases à l’occasion du passage de témoin, en tout cas pas encore, « Rien à voir avec Sophie Binet, qui avait peu de chances de s’imposer mais qui a été élue à la suite d’un congrès de la CGT extrêmement tendu, avec un syndicat coupé en deux, et pour lequel elle est devenue la seule issue possible », souligne Frank Georgi, spécialiste de l’histoire syndicale et professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Evry-Paris-Saclay.

Entre la figure tutélaire de Laurent Berger, dont la moindre prise de position future va être scrutée, disséquée, et Sophie Binet la rusée, devenue une star des médias en deux mois avec son physique d’étudiante et son parler cash, il va falloir s’imposer.

Le compromis à la rue

Le peut-elle ? Sur le papier, la situation est idéale, « On a travaillé avec elle de façon fluide et efficace », reconnaît Denis Gravouil, responsable de la CGT-Spectacle, Cette titulaire d’un DESS de chimie, amoureuse du Finistère, spécialiste des risques environnementaux, s’est aguerrie dans la lutte contre les réformes de l’assurance-chômage voulues par Emmanuel Macron.

 Elle a vu Laurent Berger, adepte d’une culture du dialogue et du compromis, progressivement acculé à faire basculer les revendications dans la rue lors de la réforme des retraites, « La CFDT a beaucoup contribué à la mobilisation, et son image en a bénéficié, Tout d’un coup, elle n’était plus ce syndicat qui se voulait adepte du compromis à tout prix, mais [celui qui] pouvait marcher sur deux jambes, le dialogue et la mobilisation », dit Frank Georgi.

 Pour nombre d’interlocuteurs, Marylise Léon a les qualités qui ont permis à Laurent Berger de faire arriver la CFDT au premier rang des syndicats un lien étroit avec le terrain et une connaissance extrêmement fine du monde du travail, « C’est ce qui nous a manqué ces dernières années », reconnaît un ponte de la CGT,

Reste que la période est compliquée, La mobilisation a prouvé que le syndicalisme n’était pas mort, mais le combat est perdu, Que faire de cette défaite glorieuse ? Et que faire de l’intersyndicale, qui a montré ses points forts, plébiscitée par les salariés ? En sortir, c’est courir le risque de se marginaliser, y rester, c’est peut-être se banaliser et s’enfermer dans un simple combat de cheffes avec Sophie Binet « En fait, cette question a déjà agité la CFDT dans les années 1966-1968, quand les deux organisations, CGT et CFDT, travaillaient la main dans la main, Et, finalement, l’interrogation est la même pour une frange de la CGT, la plus dure, qui craint de voir son syndicat devenir suiviste par rapport à la CFDT, La CFDTisation de la CGT, ça fait peur à certains », tempère Georgi.

Guerre et paie

Par ailleurs, les combats qui s’annoncent risquent d’être assez frontaux, La conditionnalité du versement du RSA est une « ligne rouge » pour la CFDT, Mais, mobiliser dans la rue, est-ce dans l’ADN de l’organisation ? « Il paraît probable qu’un des futurs chantiers pour les syndicats va être celui du pouvoir d’achat, Cela n’est pas si évident de privilégier ce sujet pour Marylise Léon, qui, comme n’importe quel dirigeant CFDT, a été biberonnée à l’idée que, le syndicalisme, ce n’était pas seulement la feuille de paie », rappelle Georgi, Le macronisme, qui a toujours nié à la CFDT la moindre légitimité à se mêler de l’intérêt général, est au pouvoir pour quatre années encore,

Autant d’années où l’opposition risque de se durcir, la place pour les adeptes du dialogue se réduisant comme peau de chagrin, ce qui pourrait entraîner Marylise Léon dans une coûteuse surenchère avec Sophie Binet, Dans son bureau, où sont exposés peu d’objets personnels, elle a mis une photo de la rencontre mythique entre Brel, Brassens et Ferré, Le premier a sa préférence,

Elle pourra toujours chanter aux militants, s’ils sont déçus, « Ne me quitte pas »


Article d’Anne-Sophie Mercier. Dessin Kiro. Le Canard enchaîné. 14/06/2023


3 réflexions sur “Marylise Léon

  1. bernarddominik 22/06/2023 / 13h38

    Les syndicats se prennent pour des partis politiques. Le RSA n’est pas une affaire syndicale mais un choix sociétal. Par leur jusquauboutisme sans mettre en avant les questions essentielles (qui ne peut pas travailler jusqu’à 64 ans, qui le peut, et pourquoi retarder cet âge) en présentant des comptes financiers sur des recettes non pérennes, les syndicat on permis à Macron de faire passer une réforme mal ficelée et qui ne répond qu’au très court terme. Alors remplacer le berger par une bergère ne changera rien au fond. Continuer à marcher avec un bandeau sur les yeux tout le monde sait le faire. Bon courage les jeunes.

    • Libres jugements 22/06/2023 / 15h20

      Finalement, selon tes vues Bernard, les syndicats sont des salles par empêcheur de tourner en rond les entreprises d’une part et se mêlant des affaires de la société alors qu’en tant que syndicat, ils n’ont pas voix de chapitre.
      Je n’épouserai pas cette façon de voir et pense sincèrement ne pas être le seul à avoir cette attitude.
      Dirigeants et les grands du capital sont unis pour asservir une masse salariale qui ponctionne trop la rentabilité de leurs affaires, leurs actions, leurs dividendes.
      Chacune, chacun doit, par l’exercice voulu de son métier et une juste rémunération, pouvoir vivre et faire vivre décemment sa famille. N’étant pas le cas actuellement, il est normal qu’il y ait des revendications ; qu’elle se matérialise au travers des syndicats, ou des partis politiques, est nécessaire.

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