Naouri et l’entreprise « Casino »

L’ex-haut fonctionnaire devenu épicier de grande surface n’est plus en train de
reprendre un concurrent, mais vient d’être repris de justesse.

Jeudi 1ᵉʳ juin 2023, Jean-Charles Naouri est sorti, le pas lourd et l’air las, des locaux de la brigade financière. Une journée en garde à vue, en raison d’un soupçon de manipulation de cours de Bourse de son entreprise, Casino, un empire au bord de la faillite, avec plus de 6 milliards de dettes, et une échéance, en janvier 2024, qu’il est bien incapable de rembourser. Depuis des mois, il essaie de vendre aux banques son idée de couper la poire en deux – en langage financier, on appelle ça un abandon de créances -, mais les créanciers montrent les crocs et les gros loulous du business, les Nid, Pigasse, Kretinsky, tournent autour de lui pour le dépecer. Il a fait ça toute sa vie, il connaît par cœur cette danse macabre autour de celui qui trébuche et s’enfonce. C’est son tour.

Où est passé le prodige Naouri, le gamin d’Algérie arrivé en France à 5 ans, bachelier à 15, double lauréat du concours général en latin et en grec, qui bat à 17 ans le nombre record de points obtenus par Henri Poincaré au concours d’entrée de la Rue d’Ulm et décroche son doctorat de mathématiques en un an ?

La réponse se trouve dans une note de bas de page du tome 1 du célébrissime traité d’analyse mathématique de Roger Godement. Un ouvrage fort austère dans lequel l’illustre scientifique se livre parfois à quelques digressions. « L’un des plus brillants étudiants que j’ai eus en trente-cinq ans est aujourd’hui à la tête d’une holding qui contrôle des chaînes de supermarchés. Il vend des camemberts, de la viande sous Cellophane, des Tampax, du jus d’orange, des nouilles, de la moutarde. » Le vendeur de Tampax décrit avec tant d’ironie, c’est Naouri.

Prends l’oseille et tire-toi

Pour nombre d’observateurs, la chute de ce dernier était écrite. Le jeune surdoué, qui survole la scolarité à l’ENA après Normale sup, devient directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy au ministère des Finances. Quand la droite revient aux affaires, il voit les beaux postes promis à d’autres et rejoint donc la banque Rothschild, en 1987. Il confie alors à ses copains, anciens du cabinet Béré = « Nous avons eu le pouvoir, nous aurons l’argent. » Une toute nouvelle définition du socialisme.

Naouri tient parole. De l’argent, il va en gagner, beaucoup, puisque sa fortune avoisine en 2022 les 100 millions d’euros. Et peu importe les moyens. En 1988, il est inculpé pour délit d’initié lors du raid boursier contre la Société générale. Le financier George Soros est condamné, mais lui est relaxé. A la surprise générale.

Naouri tient parole. De l’argent, il va en gagner, beaucoup, puisque sa fortune avoisine en 2022 les 100 millions d’euros. Et peu importe les moyens. En 1988, il est inculpé pour délit d’initié lors du raid boursier contre la Société générale. Le financier George Soros est condamné, mais lui est relaxé. A la surprise générale.

Cet argent qu’il gagne, aisément, le modifie en profondeur. Le jeune haut fonctionnaire socialiste un peu coincé devient un redoutable homme d’affaires, qui aime se montrer dans les palaces et les grands hôtels. « Naouri est devenu rapidement un homme d’affaires sans scrupules, avec une méthode simple = plus de violence dans sa façon de faire, et plus de sophistication dans le montage des contrats de ceux qui s’associent à lui avant d’être croqués ou croisent sa route », assène un grand avocat d’affaires. Il agite ses réseaux, nombreux, s’entoure d’anciens flics et d’anciens magistrats.

Sa lutte avec la famille Baud pour la conquête de Franprix et de Leader Price a été d’une férocité absolue, et s’est terminée par sa victoire. Dans la foulée, à la tête de Casino, il achète Monoprix, lance Cdiscount. Son endettement devient insupportable, l’avidité et l’amour des combats borderline lui ont fait oublier la base du métier « le prix ». Devenus trop chers, ses magasins perdent des clients.

L’argent des autres

Administrateur de Fimalac (Marc Ladreit de Lacharrière), de Natixis, de HSBC France, le patron de Casino a encore quelques appuis, mais ses heures sont comptées. « Naouri a été placé en garde à vue et soupçonné de manipulation de cours en bande organisée, de corruption privée active et passive et de délit d’initié sur signalement de l’Autorité des marchés financiers.

Quand on connaît l’absence légendaire de courage de cette noble institution, on se dit que Naouri doit être sacrément affaibli pour qu’ils montent ainsi au créneau », rigole un haut fonctionnaire de Bercy. Affaibli, de plus en plus paranoïaque – il vit entouré de gardes du corps – et tellement mal conseillé qu’il signe un contrat, en 2018, avec un loustic bien connu de la place de Paris, un certain Nicolas Miguet, propriétaire de petits journaux boursiers et connu de la justice pour manipulation de cours sur quatre dossiers depuis 2011.

L’atmosphère crépusculaire qui règne autour de l’ancien prodige, acculé, ne doit pas faire oublier le désastre qui s’annonce… pour les autres « les petits actionnaires », qui vont se faire rincer, et les employés de ses magasins (50 000 emplois en France), qui vont trinquer. Mais, ça, il se pourrait bien que ce soit le cadet de ses soucis.


Article d’Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné. 14/06/2023

3 réflexions sur “Naouri et l’entreprise « Casino »

  1. bernarddominik 21/06/2023 / 12h37

    Trop gourmand et bien seul .

    • Libres jugements 21/06/2023 / 15h06

      Dans la fin de ta phrase, Bernard, regretterais-tu qu’il soit « bien seul ». Cela laisserait-il sous-entendre que tu aurais quelques actions du groupe casino… Juste la taquinerie de ma part.

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