Les évangéliques attirent !

Reportage

Dans un quartier verdoyant de Châteauroux, une cinquantaine de personnes convergent vers un bâtiment bas, au bord d’une allée. Autrefois, le lieu accueillait les Témoins de Jéhovah. Il est ensuite devenu propriété de la ville qui l’a loué à la communauté juive. Aujourd’hui, une croix peinte figure sur le crépi jaunâtre : la bâtisse appartient, depuis 2011, à une Église protestante évangélique. L’intérieur est moderne. On n’y trouve pas seulement une salle pour le culte mais aussi un bureau, une cuisine et plusieurs pièces confortables dédiées aux activités organisées pour les enfants.

« En 1992, nous n’étions que quelques-uns et les célébrations avaient lieu dans notre salon », explique avec énergie Jenny Villaudière. Cette infirmière de formation fait partie des fondateurs de la communauté. Elle précise s’être convertie à l’adolescence, bien que née dans une famille protestante réformée. Détail biographique qui nous donne l’occasion de situer — en simplifiant ! — les évangéliques sur l’arbre généalogique chrétien : extrêmement divers, les évangélismes appartiennent à la famille spirituelle du protestantisme, et s’y distinguent notamment des courants luthériens et réformés. Principaux signes particuliers : une valorisation de la conversion personnelle, et l’affirmation assumée de leur foi en dehors du cercle privé.

L’église castelroussine attire aussi bien des protestants que d’anciens athées et d’ex-catholiques, qui prennent place chaque dimanche sur des chaises en plastique. Sur une petite estrade, le pasteur Elcio Rocha les accueille au micro, entre un clavier et une guitare électrique. […]

 « Vous devez rayonner dans tout le Berry, quitte à parler de Jésus en patois », taquine le pasteur invité dans sa prédication, axée sur l’épisode biblique de la Pentecôte : les apôtres y annoncent à tout le voisinage, et dans toutes les langues, la résurrection de Jésus. Les fidèles sont encouragés à imiter ces premiers chrétiens, qui osèrent dire tout haut leur foi. « Je vous propose d’inviter un ami à venir avec vous dimanche prochain ! »

Dans le Berry, l’évangélisme a la cote.

À quelques kilomètres, toujours à Châteauroux, une autre Église revendique plus de cent cinquante fidèles. Née en 1960, elle est rattachée au réseau international pentecôtiste des Assemblées de Dieu, qui compte dans l’Hexagone plus de 400 communautés.

Plus au sud, à Argenton-sur-Creuse (5 000 habitants), une autre petite Église est rattachée au même réseau que celle d’Elcio Rocha : l’union Perspectives (84 églises en France). Sa devise : « Des disciples qui font des disciples, des Églises qui font des Églises. »

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On est bien loin des méga-églises urbaines qui rassemblent des milliers de fidèles dans des complexes énormes, notamment en banlieue parisienne. Ces cultes sous forme de shows spectaculaires ont fait la réputation médiatique des évangéliques, jusqu’à faire craindre une politisation sur le modèle d’un certain évangélisme américain, soutien assumé de Donald Trump. Ces méga-églises éclipsent un mouvement de fond qui laboure patiemment le territoire français, y compris rural.

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  • Trente-cinq nouvelles Églises par an

La plupart de ces volontaires partent en couple, menés par des « pasteurs-implanteurs » soutenus financièrement par le réseau dont ils dépendent, après avoir suivi une formation ad hoc (dont une est dirigée par Daniel Liechti). Les fidèles sont aussi appelés aux dons pour aider les implantations.

« En moyenne, nous dénombrons en France 35 Églises supplémentaires par an, donc une tous les dix jours. Cette croissance est moins exponentielle qu’on le dit mais bien réelle : en 1945, il y en avait 250 en France métropolitaine. Actuellement, c’est plus de 2 500 ».

Sur le site du CNEF, une carte les détaille, département par département : 7 dans l’Indre, 24 en Ardèche, 41 en Isère, 46 en Seine-Maritime…

« Pour les évangéliques, l’Église n’est pas une institution supra-locale ni un bâtiment. C’est avant tout une communauté très pieuse, souligne le sociologue des religions Jean-Paul Willaime. Ils étoffent souvent leur maillage local à partir d’une Église mère. »

Cette volonté d’expansion est aussi vieille que le christianisme lui-même — sinon les apôtres n’auraient jamais quitté la Galilée —, mais particulièrement vivace chez les évangéliques.  […]

Dans son Journal d’un implanteur, publié par l’association éditrice du réseau Église apostolique dont il dépend, le pasteur Jean-Sébastien Fontaine n’hésite pas à employer les mots « étude de contexte » et « public ciblé ».

Une réflexion marketing décomplexée, qui tranche avec des passages plus mystiques. « Avant de s’implanter, il faut étudier la localité pour définir un modèle d’Église qui colle aux besoins culturels et sociaux de la population. »

Ce quadragénaire, installé en Seine-Maritime, a quitté son travail au port du Havre et jongle désormais entre cinq petites villes. D’abord pasteur à Eu et à Lillebonne, il a ensuite fondé deux nouvelles Églises à Yvetot en 2017, puis Aumale en 2020. À Terres-de-Caux, l’implantation démarre tout juste. « On va commencer par inviter les voisins pour un barbecue. » Oui, tout peut commencer par un barbecue. Objectif : se faire connaître, en étant pertinent.

L’évangélisation doit vivre avec son temps, explique Daniel Liechti, le responsable du CNEF. « Nous devons adopter des méthodes qui soient compatibles avec la réalité culturelle française. L’apôtre Paul ne prêchait pas pareil dans une synagogue ou face à des païens sur une place publique athénienne ! En France, nous ne sommes plus vraiment en chrétienté. Il est rarement opportun d’arriver en proposant d’emblée des cultes, en parlant, hors contexte, de résurrection. Nous développons les amitiés naturelles : nous participons à la vie associative de la ville, nous rendons service, pour montrer que la Bible nous pousse à aimer les autres. Sans prosélytisme : la foi authentique est toujours un choix personnel. »

Mission des implanteurs ruraux : s’investir dans la vie locale en témoignant de leur foi — avec le but de construire un réseau et de susciter la curiosité, mais en remisant les gros sabots du prosélytisme explicite.  […]

Autres campagnes, même stratégie : en Corrèze, à Égletons, l’association familiale protestante locale a repris un restaurant en 2015 pour y lancer un café ouvert à tous, qui propose brunchs-débats, films et concerts de jazz.

Même système en Vendée, où le pasteur Olivier Jung œuvre à Challans depuis 2011, et à Montaigu-Vendée depuis 2019.  […]

Déterminés, les pasteurs-implanteurs interviewés ont déjà leur future destination en tête. Tous à l’ouest : Olivier Jung envisage de nouvelles églises en Vendée, où Jean-Sébastien Fontaine le rejoindra prochainement. Élise Duchemann prépare son départ vers la Bretagne, à Fougères.


Elise Racque. Télérama. Source (Courts extraits, se rapporter à la revue N°3828 – 24/05/2023).


3 réflexions sur “Les évangéliques attirent !

    • Libres jugements 21/06/2023 / 15h02

      Voilà bien une affirmation qui m’interpelle. Pourquoi les gens auraient-ils besoin de spiritualité… de spiritualité ou de plus de connaissances, ou encore de passer voir un psychologue ?
      Amitiés
      Michel

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