L’Ardèche est parsemée d’anciens volcans (stuck). MC

Le fond de l’ère était tiède en ce matin d’il y a huit millions d’années. À Eyrebonne, un soleil orange promenait ses rayons obliques sur un sol échevelé de fumerolles.
L’oiseau d’ouvre-temps prenait son envol au ras des rocs encore brûlants. Une jument minuscule, à robe de zèbre, galopait, suivie de son poulain jouant à saute-crevasses.
Au loin, le Rhône, hypothétique et saumâtre, couvait ses limons.
Le décor planté, vif arrêt sur un possible Vivarais. Souvenez-vous ! En ce temps-là, la Terre soignait son acné juvénile et pleurait à chaudes laves.
Un drame incandescent se jouait par monts et vallées.
On peut dire que ça daubait à la veillée des fournaises ! Un tel, gueule d’enfer explosive, raillait sa voisine, mégère extrusive… Un magma d’onomatopées thermiques et sulfureux quolibets.
« Sur le fond du volcan, on y danse, on y danse », ardente chorégraphie au rendez-vous du diable. Certes, l’époque était chaude ! Ainsi, aux yeux de Maurice Blondel, « la lave sombre et tenace du feu charnel » s’écoulait, lascive, en cataracte onctueuse du côté du Ray-Pic.
Sous le manteau de la Terre, le Grand Forgeron battait son enclume. Le sol frissonnait en lapilli pulsatiles. De rouges fontaines s’éclaboussaient…
Dame Nature, sereine et patiente, peaufinait pour la postérité le programme d’un certain Charles Darwin… Sous Gourdon, un placide mégathérium vaquait à ses occupations alimentaires, insensible aux grandes orgues basaltiques qui résonnaient à ses côtés.
Aux claviers, Tazieff, prénommé Haroun, jouait avec passion sa fameuse Toccata pour nuée ardente.
De toutes parts, ce souffle rauque, infernal, des bouches qui vomissaient leurs torrents pourpres jusqu’au creux d’un thalweg, Auzène en devenir. Aux cimaises du ciel, pendaient des nuages de soufre.
Enfin, au terme d’ultimes paroxysmes en gerbes excentriques, le grand opéra des enfers s’est tu. L’exubérant ténor aux pieds fourchus s’est volatilisé. Silence dans les cratères.
Le fond de l’air est frais en ce matin de vingt et unième siècle. Un soleil citron promène sa lumière oblique sur le rocher d’Ajoux, qui se la joue sur son feston de pierres. Là-bas, tout près de La Grézière, les lauzes de phonolithe tintinnabulent dans la forêt… Vulcain dort d’un sommeil sans âge.
De mauvaises langues racontent qu’il aurait un peu trop goûté au pavot de Morphée…
Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèche et d’ailleurs. Ed. La Calade
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