Dans la douceur vespérale, la mémoire perçoit quelques notes caressées jadis, lorsque le piano de Frédéric berçait le cœur et le corps de la Dame de Nohant.
De « La mare au diable » aux confins des Boutières, la musique nocturne se ressemble et s’assemble. « Musique, éloigne-toi – nous dit Nietzsche -, attends l’heure où les ombres s’épaississent jusqu’à la brune et tiède nuit ».
Le moment est venu pour Maitre Renard de revêtir son uniforme d’inspecteur des poulaillers finis. Sous l’œil blanc de Sélène, la fouine fouine et la rousse galline frémit sur son perchoir de frêne.
Motus et bec cousu, c’est dans le silence qu’on apprend le secret des ténèbres, nous dit le vernaculaire adage.
Vers le Serre des Blaches, non loin du Val d’Eyrieux ou peut-être ailleurs, peau sombre et soyeuse, juchée sur son char sidéral, elle apparait, « chair noire de lumière » SENGHOR, ornée de son plus beau collier de perles scintillantes. La chevêche est aux anges et le diable éberlué.
Éteignez vos portables, calez-vous dans l’herbe assoupie, dociles spectateurs.
Sa Majesté la Nuit, enjôleuse aux yeux de jais, séductrice, conquérante, s’avance sur la scène de vos rêves… avouables ou non.
Ainsi, jusqu’à l’heure timide de l’aube orangée, de vagues scélérates en déferlantes échevelées, le ressac galactique électrise les pigments de Vincent Van Gogh. Le « Cri » d’Edvard Munch bouscule les oreilles nonchalantes des bienheureux…
Mais une autre pièce se joue quelque part en Ardèche, en un lieu que la mémoire peine à discerner.
Sur un quai de gare, obsolète et désert à jamais, un rêveur opiniâtre, noctambule assidu, les yeux miroirs, scrute « l’obscure clarté tombée des étoiles » CORNEILLE.
Il attend ce train du matin qui ne viendra pas.
L’attente à parfois ses raisons que la raison ignore…
Apparition spectrale, diffuse, chancelante, le chef de gare applaudit du bout des doigts le candide poète… Il n’y a pas d’issue pour celui-ci, la nuit peuplée de fantasmes en fourrure est sa prison dorée.
Le noir se fait sur la scène, le rideau tombe.
Il n’y aura pas de rappels.
Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèche est d’ailleurs ». Éd. La Calade
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