Partout, les monstres !

Depuis sa petite cabane du Montana, il a horrifié les États-Unis et nargué le FBI en envoyant à ses victimes des colis piégés.

Ted Kaczynski est un homme barbu d’une cinquantaine d’années, en haillons, marchant tête haute encadré de policiers, que les Américains découvrent sur leurs écrans, le 3 avril 1996. Theodore Kaczynski, alias « Unabomber », vient d’être arrêté au cœur de la forêt de Lincoln, dans le Montana, où il vivait en ermite dans une cabane en bois sans eau ni électricité.

Le criminel le plus recherché du pays depuis près de deux décennies est hors d’état de nuire. Un sentiment de soulagement parcourt le pays. Ses voisins peinent à croire que Ted, ce marginal, est en réalité le terroriste qui, depuis 1978, a envoyé 16 bombes artisanales aux quatre coins du pays, tuant trois personnes et en mutilant 23 autres.

Pas de doute : son antre est un véritable laboratoire. Les agents du FBI y trouvent la bombe no 17, prête à être envoyée, ainsi que la machine à écrire sur laquelle il a rédigé ses lettres de revendication. […]  

Tout commence à la fin mai 1978. Un colis piégé adressé au professeur Buckley Crist, trouvé sur le parking de l’université de l’Illinois, à Chicago, blesse légèrement un policier.

Un an plus tard, un autre paquet adressé à un enseignant de la même université arrache plusieurs phalanges à un étudiant.

À la mi-novembre 1979, un avion de ligne est ciblé par un engin explosif. Le dispositif fonctionne mal, les 70 passagers du vol Chicago-Washington d’American Airlines en sont quittes pour une belle frayeur. Mais la terreur gagne.

Le 10 juin 1980, la quatrième bombe, placée dans un livre évidé, lacère profondément la main de Percy Wood, directeur d’United Airlines.

Deux ans plus tard, deux autres engins visant des professeurs d’université feront peu de dégâts, tandis que le septième brûle le visage et la main d’un professeur d’ingénierie électronique, à Berkeley, en 1982.

Le mode opératoire ne varie guère, mais l’enquête du FBI piétine. […]  

Après la septième explosion, le terroriste marque une pause de trois ans. Serait-il déjà en prison ? Mort ?

La police scientifique patauge autant que le FBI : l’analyse des empreintes ne donne rien. Celle des timbres non plus. Très précautionneux, l’homme joue avec les nerfs des policiers. Il fabrique même de faux indices pour les induire en erreur, insérant parfois dans ses courriers des poils ou des cheveux récupérés dans les toilettes publiques. Il s’était aussi fabriqué des chaussures avec des semelles plus courtes pour que sa pointure réelle ne soit pas découverte !

En mai 1985, les attentats reprennent. Frustré de n’avoir pu fabriquer un engin létal, Kaczynski a pris son temps. John Hauser, un jeune ingénieur et capitaine de l’US Air Force, qui espérait devenir astronaute, perd quatre doigts et l’usage de son œil gauche à la suite de l’explosion de la bombe cachée dans un livre reçu par la poste.

Cette fois, Unabomber veut expliquer son geste. Dans une lettre au « San Francisco Examiner », il dit agir au nom d’un groupe anarcho-révolutionnaire, le Freedom Club. Son but : « la destruction complète et permanente de la société industrielle ». Rien de très éclairant pour le FBI, qui découvre tout de même, sur le bois d’une des bombes, le message : « appeler Nathan R à 19 heures ».

Tous les Nathan du pays dont le nom commence par R sont recherchés. Fausse piste : l’auteur de ce mot était un postier qui avait rédigé un pense-bête sur le paquet.

Trois autres colis signés « FC » sont trouvés en 1985. Le premier est désamorcé dans les locaux de Boeing, et le deuxième blesse légèrement un professeur de l’université du Michigan et son adjoint. Le 11 décembre 1985, un shrapnel propulsé par le troisième perfore le cœur de Hugh Scrutton, patron d’un magasin d’informatique en Californie.

Unabomber tue pour la première fois.

En 1987, un autre vendeur d’ordinateurs est mutilé par une bombe déposée en personne par Kaczynski devant son magasin. Erreur ! Une employée a remarqué près de la boutique un homme louche portant un sweat-shirt à capuche et des lunettes d’aviateur. Un portrait-robot est largement diffusé et une récompense de 1 million de dollars promise à quiconque fournira des informations décisives.

Effrayé de voir son image en une des journaux, le terroriste fait profil bas pendant six ans avant de s’en prendre à deux généticiens de l’université de Californie et de Yale.

  • Le premier perd trois doigts et une partie de son audition, le second sa main droite. Kaczynski fabrique ensuite de nouveaux engins bourrés de clous et de lames de rasoir.
  • Thomas Mosser, un expert en communication qui travaille pour des grands groupes industriels et pétroliers, est tué par l’un d’entre eux, en décembre 1994.
  • Cinq mois plus tard, un ultime colis ôte la vie à Gilbert Murray, lobbyiste de l’industrie du bois.

Mais tuer ne suffit plus à Unabomber. Il veut diffuser ses idées. Il adresse une lettre au « New York Times » dans laquelle il moque le FBI et réclame la publication d’un « long article, entre 29 000 et 37 000 mots ». En échange, le Freedom Club cessera toute activité terroriste. Faut-il accepter ce pacte ? Les journalistes sont réticents. Le FBI aussi.

Les semaines passent et Unabomber s’impatiente. Il adresse à différents journaux à grand tirage un texte de 25 pages dans lequel il appelle à se révolter contre « le développement de la technologie condamnant à la surpopulation, (…) à la dépendance croissante des individus de grandes organisations, à la propagande et autres techniques psychologiques, au génie génétique, aux ingérences dans la vie privée par des dispositifs de surveillance et les ordinateurs… ». Et pose un ultimatum. Faute de le voir publier sous peu, il fera sauter un avion de ligne.

Panique au département de la Justice des États-Unis. Le directeur du FBI, Louis Freeh, et la procureure générale, Janet Reno, décident de céder dans l’espoir qu’un lecteur reconnaisse l’auteur du manifeste.

Le 19 septembre, le « New York Times » et le « Washington Post » publient, sur huit pages en petits caractères, « La société industrielle et son avenir ».

Résultat : la police est submergée d’appels plus ou moins fantaisistes. C’était pourtant la bonne stratégie. Après avoir lu le manifeste, Linda Patrik, la belle-sœur de Kaczynski, fait part à son mari, David, des similitudes entre les propos d’Unabomber et ceux de Ted dans les lettres adressées à sa famille. David ne veut pas y croire.

Pourtant, après avoir retrouvé dans la maison maternelle un texte de jeunesse de Ted très proche du manifeste, il prévient le FBI. La police ne répond pas. David et Linda se tournent alors vers une détective privée dont les conclusions seront formelles : l’analyse stylistique, les déplacements connus de Ted, les envois de colis, tout colle ! David transmet ces éléments aux autorités, qui daignent enfin s’y intéresser. Trois agents déguisés en géomètres se présentent chez Ted et lui passent les menottes.

Au terme de son procès, Unabomber est condamné le 4 mai 1998 à la prison à perpétuité, sans possibilité de liberté conditionnelle. Il échappe à la peine de mort en plaidant coupable, et non la folie, comme ses avocats l’y incitaient.

Enfermé en 1999 dans le quartier de haute sécurité de la prison de Florence (Colorado), l’homme, aujourd’hui âgé de 80 ans, a été transféré fin 2021 dans un établissement pénitentiaire de santé. […]  


Eugénie Barbezat. Source (Extraits)


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